Titre

Anesthésie et Allergie 

Epidémiologie et évolution des connaissances

Auteur

Pr. M Mertes

Service d'Anesthésie Réanimation Chirurgicale, CHU de Nancy, Hôpital Central

            En dépit des progrès réalisés dans notre connaissance des réactions adverses survenant en anesthésie, ces dernières demeurent un sujet de préoccupation pour les anesthésistes. L'analyse de la littérature publiée depuis 1980, retrouve plus de 4 500 cas d'anaphylaxie documentés par un bilan allergologique. L'incidence des réactions est diversement appréciée suivant les pays et varie de 1/10 000 à 1/20 000 anesthésies toutes substances et techniques d'anesthésies confondues. L'incidence de l'anaphylaxie aux curares est évaluée à 1/6 500 anesthésies. Ces derniers sont les médicaments les plus fréquemment incriminés, représentant 62 % des cas publiés, suivis par le latex (16,5 %), des hypnotiques (7,4 %), les antibiotiques administrés à titre prophylactique (4,7 %), les substituts du plasma (3,6 % dont 93 % de gélatine) et les morphiniques (1,9 %). L'allergie vraie aux anesthésiques locaux est exceptionnelle. Il n'a jamais été rapporté d'anaphylaxie aux anesthésiques inhalés.

 

            L'analyse des données publiées tous les deux ans en France par le GERAP (Groupe d'Etudes des Réactions Anaphylactoïdes Peranesthésiques) permet de mieux apprécier l'évolution des parts respectives des différentes substances incriminées en tenant compte de la modification des pratiques cliniques. Elle confirme la prépondérance des réactions mettant en cause les curares, la part croissante de l'allergie au latex, et l'augmentation rapide des réactions impliquant les antibiotiques administrés à titre prophylactique.

 

Anaphylaxie peranesthésique – enquêtes du GERAP

 

 

1989*

(n = 821)

1992*

(n = 813)

1994*

(n = 1030)

1996*

(n = 734)

1998**

(n = 571)

Curares %

81,0

70,2

59,2

61,6

69,1

Latex %

  0,5

12,5

19,0

16,6

12,1

Hypnotiq. %

11,0

  5,6

  8,0

  5,1

  3,7

Morphiniq. %

  3,0

  1,7

  3,5

  2,7

  1,4

Colloïdes %

  0,5

  4,6

  5,0

  3,1

  2,7

Antibiotiq. %

  2,0

  2,6

  3,1

  8,3

  8,1

Autres %

  2,0

  2,8

  2,2

  2,6

  2,9

 

* Ann Fr Anesth Réanim 1990-1994-1996-1998                                                     Br J Anaesth 2001**

 

Lorsque l'on étudie l'ensemble des cas d'anaphylaxie aux curares publiés depuis 15 ans, on note par ordre décroissant, la responsabilité première du suxaméthonium (44,6 % des réactions aux curares), suivie du vécuronium (27 %), de l'atracurium (13 %), du pancuronium (8,5 %), du rocuronium (6,3 %), du mivacurium (1 %) et du cisatracurium (0,1 %). Cependant, ces résultats obtenus à partir de données cumulatives ne sont qu'un reflet imparfait du risque lié à l'utilisation des différents curares. Ainsi, en France, les enquêtes successives du GERAP montrent que l'incidence des réactions au suxaméthonium baisse, alors que celle des réactions au vécuronium, à l'atracurium et au rocuronium, augmente. Lorsque l'on rapporte le nombre de réactions observées au nombre de sujets exposés aux différents curares, ces substances peuvent être classées en trois groupes : un groupe à risque "élevé" comprenant le suxaméthonium et le rocuronium, un groupe à risque "intermédiaire" comprenant le vécuronium et le pancuronium et un groupe à risque "faible" comprenant l'atracurium, le mivacurium et le cisatracurium. L'allergie croisée entre les curares est signalée chez environ 70 % des patients sensibilisés à un curare. Par ailleurs, selon les séries, une réaction allergique à un curare en l'absence de toute exposition antérieure à un médicament de cette classe thérapeutique est trouvée dans 17 à 50 % des cas.

 

Ces résultats confirment l'intérêt de la constitution de réseaux de centres spécialisés d'allergo-anesthésies capables de conduire une politique active d'identification des substances responsables ainsi que des patients à risques et d'apporter une aide pratique à la définition des recommandations nécessaires à la réalisation d'anesthésies ultérieures.