JLAR 1999
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Sommaire
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Session pleinière | ANESTHESIE INTRAVEINEUSE ASSISTEE PAR ORDINATEUR (AIVOC) Utilisation Pratique |
Auteurs : Anne Marie DEBAILLEUL
Département dAnesthésie-Réanimation Chirurgicale 1 - Hôpital R. Salengro - CHRU de Lille
Résumé
La relation entre concentration et effet des agents anesthésiques a été illustrée pour la première fois pour les agents halogénés par la notion de Concentration Alvéolaire Minimale objectivée par la mesure extemporanée de la concentration expiratoire de lagent inhalé. La même relation peut être décrite pour les agents intraveineux mais lapplication directe en est plus difficile.
Depuis les travaux de Krüger Thiemer en 1968 (1) et de Schwilden en
1981 (2), de nombreux progrès ont été réalisés. Ils ont abouti à la
commercialisation il y a 2 ans, de dispositifs permettant la prescription dune
concentration cible dans le but dobtenir un certain effet.
LAIVOC représente donc un nouveau concept dadministration
des agents intraveineux dans lequel le praticien prescrit une concentration cible
quil estime adaptée à un effet précis.Lordinateur enregistre cette
prescription et la transforme immédiatement en un débit de perfusion adapté en
commandant directement un dispositif dadministration des agents intraveineux.
Deux types de systèmes sont actuellement utilisés pour pratiquer lAIVOC :
Les
systèmes à éléments intégrés mis sur le marché depuis fin 1996 sous le nom de
Diprifusor*. Ils ont reçu lhomologation CE et comprennent dans un même dispositif
tous les éléments nécessaires à la réalisation dune AIVOC. Le logiciel utilisé
dans Diprifusor* est particulièrement performant en terme de sécurité puisque grâce à
2 microprocesseurs, il contrôle en permanence les ordres envoyés à lappareil de
perfusion et leur bonne exécution. Il ne commande quun produit, le propofol selon
un seul modèle pharmacocinétique celui de Gepts (3) modifié selon le poids
daprès MARSH (4).
Les
systèmes à éléments séparés ont permis la recherche, le développement et
lenseignement de lAIVOC. Ils comprennent un ordinateur avec son logiciel, un
câble de connexion, un appareil de perfusion compatible avec ladministration des
produits danesthésie.
Depuis le 14 juin 1998, lutilisation dun logiciel sans marquage CE ne peut être faite que dans le cadre de protocoles dexpérimentation cest-à-dire dans le cadre de la loi française de protection des personnes (loi Huriet). Actuellement, trois dispositifs Diprifusor* existent sur le marché :
- le Master TCI de Becton Dickinson qui présente lavantage dune induction modulable (quelques secondes jusquà 10 minutes) et qui permet la conservation des données de 100 patients successifs.
- le Diprifusor GRASEBY 3500 de chez Graseby et le Diprifusor ALARIS de chez IVAC qui eux permettent lutilisation, soit du propofol en mode AIVOC, soit du propofol ainsi que dautres produits danesthésie en mode classique de débit massique.
Lusage dun Diprifusor* obéit avant tout à quelques règles strictes dutilisation. Tout dabord, la nécessité demployer des seringues préremplies de propofol munies dun " TAG " permettant leur identification par le microprocesseur.
Lutilisation également de tubulures aussi courtes et rigides que possible ainsi que des valves anti-retour pour limiter au maximum les erreurs liées à la dilution ainsi quau retard dadministration du produit. La nécessité enfin dune formation du praticien à la pratique de lAIVOC.
A présent, quelle concentration choisir ?
Il faut savoir que la relation qui existe entre concentration et effet dun agent anesthésique est en général une courbe sigmoïde, cest-à-dire quau-delà de certaines concentrations, leffet est maximal et ne varie plus (5). Cette sigmoïde se caractérise par des paramètres tels que :
- lEC50 (concentration associée à 50 % de
leffet maximum)
- lEC95 (concentration associée à 95 % de leffet maximum)
- et _ le coefficient de pente de la courbe sigmoïde.
Les valeurs de lEC50 et de lEC95 dépendent de lintensité de leffet, cest-à-dire de lintensité du stimulus appliqué et des médications associées. Dautres co-variables interviennent également tels que le sexe, lâge, le poids et la fonction rénale.
Exemples : lEC50 de lAlfentanil est de 475
ng/ml pour lintubation et de 279 ng/ml pour lincision (6). Ces valeurs sont
divisées par 5 pour lintubation et par 2 pour lincision si lAlfentanil
est associé à du propofol, à la concentration fixe de 3 µg/ml (7).
Pour pratiquer lAIVOC, le praticien doit bien entendu connaître les valeurs (EC95)
des produits quil utilise, valeurs correspondant aux gestes effectués, il doit
également connaître certaines notions fondamentales de pharmacocinétique, en
particulier le fait que la distribution de la plupart des agents anesthésiques
intra-veineux, propofol en particulier, se fait selon des modèles à plusieurs
compartiments et que la vitesse déquilibration entre le compartiment central et le
compartiment site effet dépend de la constante Keo déquilibration sang/cerveau
ainsi que du gradient des concentrations respectives des deux compartiments (8).
En pratique, linduction au propofol nécessite des concentrations cibles variant de 4 à 6 µg/ml, plutôt 4 µg/ml chez un patient prémédiqué et en association à un morphinique, 6 µg/ml ou plus chez un patient non prémédiqué et sans adjonction de morphinique (9).
La perte de conscience est généralement obtenue en un peu plus de 90 secondes pour une (EC50 de 3,5 µg/ml) et une (EC95 de 4,34 µg/ml). Ce délai est important à noter car il est directement indicatif de la concentration de réveil, cest-à-dire de la concentration douverture des yeux. Si lon veut raccourcir ce délai, il faut travailler en biophase, cest-à-dire en fixant des concentrations cibles plasmatiques plus élevées.
Au contraire, si on veut une induction lente pour minimiser les effets hémodynamiques ou pour évaluer la sensibilité du patient, on peut soit demander au logiciel datteindre la concentration cible en un temps plus long (10 minutes au maximum) ce qui laisse le loisir dinterrompre la montée dès que le patient sendort, soit procéder par paliers successifs de concentration. Cette dernière technique est particulièrement utile chez les sujets âgés.
Lintubation trachéale sous propofol seul paraît difficile et nécessite des concentrations élevées
(12 µg/ml et plus) (10) responsables deffets hémodynamiques délétères. Ladjonction dun morphinique et/ou dun curare permet dintuber avec des concentrations moins élevées (80 % des patients sont intubables avec des concentrations au site effet de 4 µg/ml).
La réussite dune laryngoscopie acte particulièrement réflexogène nécessite dattendre que ces concentrations au site effet soient atteintes soit en moyenne 5 minutes pour une induction avec une concentration cible plasmatique de 4 µg/ml, moins si on induit avec des concentrations cibles plus élevées.
Lentretien de lanesthésie associe en général plusieurs agents. lassociation propofol morphinique est fortement synergique. Ladministration de fortes quantités de morphiniques est inutile. Les concentrations cibles de propofol utilisées en période dentretien se situent généralement entre 3 et 6 µg/ml. Elles dépendent bien entendu de la profondeur danesthésie requise ainsi que du type et de la quantité de morphiniques associés. Ces concentrations diminuent progressivement au cours du temps. Cest ainsi que la concentration requise pour la fermeture est inférieure à celle nécessitée par lincision (2 à 3 µg/ml). Il nest pas recommandé cependant de descendre au-dessous dune valeur de 2 µg/ml surtout si le patient est curarisé sous peine de le voir se souvenir de lanesthésie.
Exemples : valeurs optimales dEC50 et de lEC95 de propofol et de différents opioïdes qui associés au Diprivan assurent une anesthésie adéquate (95 % de non réponse aux stimuli chirurgicaux et un rapide retour à la conscience.
Infusion (min) |
Propofol / Alfentanil (µg/ml) / (ng/ml) |
Propofl / Fentanyl (µg/ml) / (ng/ml) |
Propofol / sufentanil (µg/ml) / (ng/ml) |
Propofof / Rémifentanil (µg/ml) / (ng/ml) |
15 C Optimal C Awakening Awake (min) |
4,18 / 131 1,57 / 73 12,3 |
4,51 / 1,89 1,58 / 1,03 13,3 |
4,52 / 0,23 1,58 / 0,11 13,3 |
2,81 / 7,61 1,59 / 2,39 7,5 |
60 - - - |
4,49 / 114 1,58 / 71,9 20 |
4,48 / 1,64 1,58 / 1,03 20,9 |
4,14 / 0,20 1,57 / 0,12 18,8 |
2,70 / 7,31 1,59 / 2,39 9,4 |
300 - - - |
4,40 / 118 1,58 / 72,1 31,2 |
5,30 / 1,29 1,62 / 0,99 41,3 |
4,18 / 0,20 1,57 / 0,12 28,5 |
2,63 / 8,01 1,60 / 2,37 10,8 |
600 - - - |
4,21 / 125 1,57 / 72,7 36,8 |
5,41 / 1,25 1,63 / 0,98 55,7 |
4,10 / 0,20 1,57 / 0,12 34,8 |
2,57 / 8,27 1,6 / 2,37 11,3 |
Daprès Vuyk 1997 (11)
Le réveil résulte dune diminution de la concentration au site
daction. Sa prédiction nécessite une modélisation pharmacocinétique qui tienne
compte de tous les paramètres du modèle et de la durée de la perfusion.
Hugues en 1992 (12) a décrit un nouveau paramètre pharmacocinétique particulièrement
utile en anesthésie : le Context Sensitive Half Time, soit la demi-vie contextuelle ou
apparente, ou encore le temps de demi-décroissance. Mais plus encore que ce paramètre,
le temps de décroissance à larrêt de la perfusion (decrement Time) est
intéressant car il permet directement le calcul du temps de réveil lors de larrêt
de la perfusion si lanesthésiste a fait le choix dune concentration de
réveil précise.
Pour le propofol, les concentrations douverture des yeux varient entre 0,8 et 1,5
µg/ml en moyenne. Cette concentration dépend bien entendu des médications associées et
des concentrations de propofol qui ont été nécessaires à linduction de
lanesthésie.
Pour les morphiniques, les concentrations de reprise ventilatoire
peuvent être estimées à :
- 45 à 60 ng/ml pourlAlfentanil
- 0,8 à 1 ng/ml pour le Fentanyl
- 0,08 à 0,12 ng/ml pour le Sufentanil
- 1 ng/ml et moins pour le Rémifentanil.
Conclusion
LAIVOC est un nouveau concept en anesthésie. Son utilisation est simple. Son apprentissage facile. Il permet à lanesthésiste dadapter parfaitement le niveau de lanesthésie aux besoins du patient avec un pourcentage derreur qui est tout à fait acceptable (20 % environ).
Bibliographie
- 1- Kruger-Thiemer E. Continuous intravenous infusion and multicompartment accumulation. Eur J Pharmacol 1968, 4 : 317-324
- 2- Schwilden H. A general method for calculating the dosage scheme in linear pharmacokinetics. Eur J Clin Pharmacol 191, 20 : 379-386
- 3- Gepts E, Camu F, Cockghott ID, Douglas EJ. Disposition of propofol administered as constant rate intravenous infusions in humans. Anesth Analg 1987, 66 : 1256-63
- 4- Marsh B, White M, Morton N and Kenny GNC. Pharmacokinetic model driven infusion of propofol in children. Br J Anaesth 1991, 67 : 41-48
- 5- Vuyk J, Enghers FHM, Lemmens HJM et al. Pharmacodynamics of propofol in female patients. Anesthesiology 1992, 77 : 3-9
- 6- Ausems ME, Vuyk Hug CCJ, Stanski DR. Comparison of a computer-assisted infusion versus intermittent bolus adminsitration of alfentanil as a supplement to nitrous oxide for lower abdominal surgery. Anesthesiology 1988, 68 : 851-61
- 7- Vuyk J, Enghers FHM, Burm AGL, Vletter AA, Griever GER, Olofsen E et al. Pharmacodynamic interaction between propofol and alfentanil when given for induction of anesthesia. Anesthesiology 1996, 84 : 288-99
- 8- Shafer A, Doze VA., Shager SL, White PF. Pharmacokinetics and pharmacodynamics of propofol infusions during general anesthesia. Anesthesiology 1988, 69 : 348-356
- 9- StruysM, Versichelen L and Rolley G. Influence of pre-anaesthetic medication on target propofol concentration using a Diprifusor TCI System during ambulatory surgery. Anaesthesia 1998, 53 Supplt April
- 10- Billard V, Cazalaa JB, Servin F, Viviand X. Anesthésie intra-veineuse à objectif de concentration. Ann Fr Anesth Réanim 1997, 16 : 250-73
- 11- Vuyk J, Mertens MJ, Olofsen E, Burm AGL, Bovill IG. Propofol anesthesia and rational opioid selection. Determination of optimal EC50-EC95 propofol-opioid concentrations that assure adequate anesthesia and a rapid return of consciousness. Anesthesiology 1997, 87 : 1549-62
- 12- Hugues MA. Context Sensitive Half Time in multicompartiment pharmacokinetic models for intravenous anesthetic drug. Anesthesiology 1992, 76 : 334-341