Hypothermie : le cas particulier de la coeliochirurgie

Auteur :Hervé SCHLOTTERBECK (Strasbourg)

Objectifs : - mécanismes de l’hypothermie au cours des cœliochirurgies

                - les différents conditionnements du gaz d’insufflation et leurs effets

 

Le développement de la chirurgie abdominale par laparoscopie a permis d’éliminer un élément majeur contribuant à l’hypothermie : l’exposition de larges surfaces viscérales à l’air ambiant. Malgré cela, plusieurs études ont observé une chute de la température centrale lors d’interventions par coeliochirurgie. Cette hypothermie profonde fréquemment observée est la conséquence de pertes caloriques non spécifiques liées à l’anesthésie et de pertes caloriques spécifiques liées à l’insufflation de gaz dans la cavité péritonéale. En effet, ce gaz expose la surface péritonéale (comparable à celle de la peau, soit 1 à 2 m²) à des conditions de température et d’humidité différentes de celles de l’organisme. Certains conditionnements du gaz d’insufflation intra-péritonéal sont susceptibles de prévenir ou de minorer cette hypothermie.

 

A/ Les mécanismes de l’hypothermie au cours des anesthésies pour cœliochirurgies

 

 

Les pertes caloriques non spécifiques sont liées au déséquilibre thermogenèse/thermolyse induit par l’anesthésie générale.

Les pertes caloriques spécifiques, quant à elles, résultent d’un transfert calorique par convection et évaporation, de l’organisme vers le gaz insufflé dans la cavité péritonéale.

 

a) les pertes caloriques par convection

Les pertes caloriques par convection sont liées à l’insufflation de grandes quantités de gaz aux conditions STPD (Standard Temperature Pressure Dry) dans la cavité abdominale. Ce fluide va alors faire office d’échangeur thermique en se réchauffant dans un milieu aux conditions BTPS (Body Temperature Pressure Saturated). Ce transfert de chaleur, de l’organisme au gaz intra-péritonéal, est proportionnel à la surface d’échange, la vitesse du fluide, ainsi qu’à un coefficient qui est une fonction complexe de la nature du fluide : le coefficient de chaleur spécifique. Ce coefficient, défini comme la quantité de chaleur nécessaire pour accroître la température d’une unité de masse de 1 kg d’eau d’un degré Celsius, est cinq fois moindre pour un gaz (0,84 J/g X grad pour le CO2) que pour le sang (similaire à celui de l’eau, 4,19 J/g X grad). C’est pourquoi la déperdition d’énergie impliquée dans ce processus n’intervient que faiblement dans l’hypothermie observée au cours des coelioscopies.

 

b) les pertes caloriques par évaporation

En laparoscopie, l’insufflation à fort débit de gaz d’insufflation STPD constitue une situation à l’origine de pertes évaporatives importantes, puisque ce gaz va passer à des conditions BTPS à l’intérieur de la cavité péritonéale. Cette évaporation, mise en jeu pour l’humidification du gaz insufflé, consomme une quantité de chaleur égale à 0,58 kcal/g d’eau. L’importance de l’évaporation dans le péritoine est fonction de la différence de pression partielle de vapeur d’eau entre les surfaces en contact, du débit de gaz et de la différence de température. C’est cette évaporation péritonéale qui semble être le facteur primordial de la déperdition calorique lors des cœliochirurgies.

 

Les autres modes de transfert calorique (conduction, radiation) n’interviennent que très peu dans l’hypothermie per-anesthésique au cours des coelioscopies.

 

 

II/ les différents conditionnements du gaz d’insufflation et leurs effets

 

Le gaz le plus fréquemment employé lors des insufflations péritonéales au cours des cœliochirurgies est le CO2, en condition STPD. Différents conditionnements ont été testés pour prévenir l’hypothermie liée à l’emploi de grands volumes de ce type de gaz au cours des interventions.

 

1)     Gaz d’insufflation réchauffé et sec

Il apparaît, aux vues des résultats contradictoires des études réalisées, que l’administration d’un gaz réchauffé et sec est probablement peu utile en pratique par rapport au gaz froid et sec dans la prévention de l’hypothermie per-opératoire. Plus encore, ce réchauffement du gaz parait peu souhaitable car la quantité d’énergie nécessaire pour ramener la température des gaz froids à celle de la cavité abdominale est très faible. En revanche, la quantité d’énergie utilisée par l’organisme pour humidifier un gaz chaud au sein de la cavité péritonéale sera beaucoup plus importante que lorsque le gaz est froid : ce phénomène semble expliquer les résultats paradoxaux observés dans une étude où l’emploi d’un gaz chaud et sec majorait la déperdition thermique par rapport au groupe contrôle (gaz froid et sec).

 

2)     Gaz d’insufflation réchauffé et humide

Même si les études menées ne permettent pas de conclure de manière formelle à une efficacité de l’humidification d’un gaz chauffé sur la prévention de l’hypothermie, il semble cependant que ce type de conditionnement puisse être bénéfique. Les études réalisées ne montrant pas de différence par rapport au gaz « standard » présentaient probablement des limites méthodologiques. L’étude favorable à l’humidification du gaz est réalisée sur une cohorte plus importante et est supportée par des explications thermophysiques rationnelles.

La réalisation d’études plus longues (plus de 2 à 3 heures) sur des groupes plus nombreux permettrait peut-être de trancher plus clairement.

 

3)     Gaz d’insufflation non réchauffé et humide

Les données physiques disponibles montrent que la quantité d’énergie nécessaire pour chauffer à température corporelle un gaz arrivant dans la cavité péritonéale est minime et ce réchauffement est quasi-instantané.

L’absence d’humidité du gaz médical habituellement employé semble tenir une place plus importante dans la survenue de l’hypothermie, la saturation de ce dernier en vapeur d’eau lors de son arrivée dans l’abdomen nécessitant une énergie importante.

C’est pourquoi l’impact d’un gaz d’insufflation froid et humidifié sur la température centrale a été évalué.

Une première étude, non encore publiée, a été réalisée chez l’animal.

Après anesthésie générale, une laparoscopie était réalisée chez 4 cochons et l’évolution de la température centrale était recueillie. Chaque animal étant son propre témoin, le geste était réalisé à 4 reprises (à 8 jours d’intervalle) sur chaque cochon  avec les différents types de gaz d’insufflation : absence d’insufflation de gaz (groupe Contrôle), gaz chauffé et humidifié (système LaparoShield®, Pall), gaz froid et humide (système Aeroneb® Pro), gaz froid et sec (groupe Standard).

Les résultats suivants ont été extraits de cette expérience :

1) après 30 minutes, la température centrale du groupe Aeroneb® a significativement moins chuté que celle du groupe Standard (p=0,036) et cette différence augmentait avec le temps (p=0,0001)

2) après 100 minutes, la température centrale du groupe Laparoshield® a significativement moins chuté que celle du groupe Standard (p=0,024). Cette différence augmentait également avec le temps (p=0,0001)

 3) après 80 minutes, la température centrale du groupe Standard différait de celle du groupe Contrôle (p=0,035)

 4) Il n’y avait pas de différence significative de température entre les groupes Contrôle, Aeroneb® et Laparoshield® au cours du temps.

Ces résultats expérimentaux semblent montrer que l’humidification du gaz d’insufflation prévient l’apparition de l’hypothermie.

 

Ainsi, la déperdition thermique au cours des coelioscopies semble être dépendante du type de conditionnement du gaz d’insufflation utilisé.

A l’inverse du réchauffement du CO2 insufflé qui ne semble apporter aucun bénéfice, ni isolément, ni en association avec l’humidification, humidifier le CO2 insufflé sans réchauffement semble limiter efficacement l’hypothermie liée à l’évaporation péritonéale au cours des coelioscopies. Ce type de conditionnement pourrait, de plus, représenter une intéressante voie d’administration de médicaments au cours des cœliochirurgies. 

 

BIBLIOGRAPHIE