Intubation difficile chez l’enfant : les solutions

Auteur : Bruno MARCINIAK

Unité Fonctionnelle d’anesthésie de l’enfant Clinique d’Anesthésie Réanimation de l’Hôpital Jeanne de Flandre. CHRU Lille France

 

L’intubation difficile peut résulter de situations anatomiques ou cliniques variées. Cette situation tant redoutée est probablement moins fréquente chez l’enfant même si son incidence exacte n’est pas clairement connue. Elle résulte le plus souvent d’un syndrome dysmorphique plus ou moins identifiable.

Les difficultés rencontrées sont de trois ordre: introduction dans la bouche, exposition laryngée et cathétérisme de la trachée. Il ne peut exister de solution unique à cette situation redoutée. Il est indispensable de disposer d’arbres décisionnels permettant d’assurer la gestion de l’intubation difficile. Actuellement aucun consensus n’est validé chez l’enfant même si quelques indications ont été énoncées (1). Faire le point sur ce sujet nécessite de répondre à différentes questions: quels sont les matériels utilisables? Lesquels retenir? Quand les utiliser? Pourquoi faire?

Cette dernière question est à la base de toute la démarche pratique à adopter. Face à une intubation difficile le praticien cherche à maintenir une oxygénation et tenter d’assurer le contrôle des voies aériennes. Compte tenue du type de difficultés évoquées précédemment le contrôle des voies aériennes pourra être réalisé soit en améliorant la visualisation de la glotte, soit en effectuant une intubation à l’aveugle. En cas d’échec ou de situation critique il faut également disposer d’un mode de ventilation ou d’accès trachéal de sauvetage.

Tout anesthésiste, pouvant dans sa pratique être confronté à une intubation difficile (prévisible ou non), se doit de connaître les matériels existants, y avoir accès et être entraîné à l’utilisation d’au moins un dispositif de chaque catégorie. La majorité des matériels ont été développés chez l’adulte (2); seul un petit nombre a été adapté à l’enfant et, même dans ce cas, les preuves concernant l’efficacité manquent.

L’imagination des praticiens s’est combinée à celle des firmes industrielles pour développer toute une gamme de dispositifs visant à assurer le contrôle des voies aériennes. Aucun matériel ne peut prétendre faire face à toutes les situations anatomiques ou cliniques. Il est nécessaire pour effectuer un choix de disposer d’éléments d’orientations suffisant.

Les données de la littérature concernant l’intubation difficile de l’enfant font essentiellement référence à des cas cliniques et ne permettent que très partiellement de guider le praticien. Nous classeront les matériels existant en fonction de leur fonctionnalité.

 

AMELIORER LA VISUALISATION DE LA GLOTTE: C’est la catégorie la plus fréquente.

Différentes lames ont été proposées pour être utilisées avec des manches de laryngoscopes standard. Certaines autorisent l’administration simultanée d’oxygène à travers un canal latéral. Chez l’enfant l’utilisation de la lame droite, particulièrement par voie rétromolaire (3), est la technique de choix qui permet, avec un mandrin, de résoudre la majorité des problèmes. Il n’existe pas de données précises concernant les autres types de lame (Wisconsin TM, Phillips, TM …).

Des laryngoscopes spéciaux existent également (Bonfils retromolar scope TM, Mac Coy TM, Laryngoscopes de Bullard TM, Upsher TM, Wu TM). Le taux de succès varie chez l’adulte de 60 à 90%. Tous ont été utilisés, parfois avec succès, certains existent en taille pédiatrique (Bullard TM, Mac Coy TM) mais il n’existe pas de preuve de leur supériorité (4). La limitation d’utilisation vient également de leur disponibilité, de leur coût et de leur indispensable apprentissage.

Le fibroscope est devenu la méthode de référence pour la gestion de l’intubation difficile chez l’adulte où il permet d’obtenir les taux de succès les plus importants. Chez l’enfant également son efficacité est certaine (5) généralement par voie nasale mais également par voie orale. Les limitations sont les mêmes que celles rencontrées avec les laryngoscopes spéciaux.

 

INTUBER A L’AVEUGLE est une autre méthode classique en cas d’intubation difficile. Elle est généralement réalisée par voie nasale du fait des courbures anatomiques favorables. Elle est grevée d’un taux d’échec important (50% chez l’adulte) assorti chez l’enfant de complications traumatiques sévères et nombreuses. Différents dispositifs peuvent aider à sa réalisation.

La palpation externe ou interne a été proposée et utilisée chez le prématuré, dans les traumatismes et dans certaines dysmorphies.

Les stylets (Eschman tracheal introducer TM , Frova tracheal introducer TM, VETT TM system) ont un taux de succès variant de 70 à 100 % chez l’adulte (non évalués chez l’enfant bien qu’il existe parfois des tailles pédiatriques). L’indication la plus fréquente est l’absence de visualisation glottique à la laryngoscopie. Le stylet est alors introduit en direction supposée de la glotte (par exemple en visant le doigt qui est posé sur le cartilage thyroïde pour le mobiliser). Cette technique est simple, efficace et doit être disponible dans tous bloc opératoire. La plupart des modèles peuvent être utilisés pour le changement de sonde trachéale en réanimation.

Beaucoup d’autres dispositifs peuvent être employés même si leur utilisation primitive est tout autre. C’est le cas des sondes urétérales, gastriques ou d’aspiration. L’intérêt vient généralement de leur disponibilité, leur coût et leur tailles multiples. Dans tous les cas les caractéristiques à rechercher sont l’aspect atraumatique de l’extrémité et l’existence d’une lumière.

Les stylets lumineux (Trachlight TM, Aeroview endotracheal scope system TM,Vital Lite TM, Surch-Lite TM, Bonfils retromolar scope TM…) sont tous basés sur le principe de la transillumination. Ils permettent une intubation même en cas de sécrétions ou de sang. Le taux de succès est élevé chez l’adulte (80-100 %) et chez l’enfant. La disponibilité, le coût, l’expérience et le risque traumatique sont à prendre en considération.

Le masque laryngé (LMA) peut être utilisé en cas d’intubation difficile. Le passage de la sonde endotrachéale à travers un masque standard ou spécifique (LMA-fastrach) est une technique populaire chez l’adulte. Le succès varie cependant grandement dans cette population  (30-100%) et encore plus souvent chez l’enfant où cette technique est plutôt déconseillée. Néanmoins l’intubation à travers un masque laryngé peut être réalisée chez l’enfant avec un fibroscope ou éventuellement un stylet (6).

 

REALISER UNE VENTILATION OU UN ACCES TRACHEAL DE SAUVETAGE fait bien évidemment partie des éventualités à gérer en cas d’intubation difficile. Cette éventualité est exceptionnelle mais doit être envisagée. Elle peut survenir en cas d’échecs des moyens entrepris ou du fait d’une difficulté à maintenir l’apport d’oxygène.

Les dispositifs de ventilation  (LMA TM, Laryngeal tube TM, COPA TM, Nasopharyngeal tubes…) sont efficaces (7,8). D’un prix raisonnable ils peuvent être utilisés soit pour la réalisation du geste chirurgical si celui ci le permet, soit en solution d’attente. Leur emploi chez le nouveau-né ou le petit nourrisson est plus difficile.

L’accès trachéal de sauvetage est l’étape finale d’une situation de crise. L’intubation rétrograde est une technique efficace et possible à chaque âge. Elle peut être réalisée avec des ensembles spécifiques ou avec des leader métalliques tels que ceux utilisés pour le cathétérisme veineux central. C’est la technique à retenir dans cette catégorie.

La cricothyroidotomie peut être pratiquée chez l’enfant mais pas chez le nourrisson. Le risque traumatique est important.

Il est également possible d’assurer une ventilation temporaire avec un cathéter de taille suffisante inséré en transtrachéal.

 

CONCLUSION

 

Certains matériels peuvent être recommandés du fait de leur niveau d’efficacité. Le choix dépendra de leur disponibilité, de l’expérience des praticiens et de leur incorporation dans un algorithme adapté à la pratique de chacun.

On retiendra principalement la lame droite en position rétromolaire, le fibroscope, l’usage du stylet (lumineux ou non), le masque laryngé et l’intubation rétrograde.

L’incorporation dans un algorithme peut être envisagé de la manière suivante (fig1):

 

Fig.1 Arbre décisionnel: Conduite à tenir devant une intubation difficile chez l’enfant.

 

L’intubation difficile est rare chez l’enfant et exceptionnellement imprévisible. L’absence de données suffisantes limite le choix des praticiens. Les solutions envisageables doivent être connues et les moyens à mettre en œuvre disponibles dans les blocs opératoires. Le maintien de l’oxygénation reste la priorité.

 

Références

1 Expertise collective SFAR: Intubation difficile Annales Française d'Anesthésie-Réanimation 1996; 15:207-214

2 Practice guidelines for management of the difficult airway: an updated report by the American Society of Anesthesiologists Task Force on Management of the Difficult Airway. Anesthesiology. 2003 May;98(5):1269-77

3 Henderson JJ. The use of paraglossal straight blade laryngoscopy in difficult tracheal intubation. Anaesthesia. 1997 Jun;52(6):552-60.

4 Iohom G., Franklin R, Casey W. et al. The McCoy straight blade does not improve laryngoscopy and intubation in normal infants. Canadian Journal of Anesthesia 51:155-159 (2004)

5 Blanco G, Melman E, Cuairan V, Moyao D, Ortiz-Monasterio F Fibreoptic nasal intubation in children with anticipated and unanticipated difficult intubation. Paediatr Anaesth. 2001 Jan;11(1):49-53.

6 Thomas PB, Parry MG The difficult paediatric airway: a new method of intubation using the laryngeal mask airwaytm, Cook® airway exchange catheter and tracheal intubation fibrescope. Paediatr Anaesth. 2001;11(5):618-21

7 Walker RW. The laryngeal mask airway in the difficult paediatric airway: an assessment of positioning and use in fibreoptic intubation Paediatr Anaesth. 2000;10(1):53-8.

8 Mamaya B. Airway management in spontaneously breathing anaesthetized children: comparison of the Laryngeal Mask Airwaytm with the cuffed oropharyngeal airway

Paediatric Anaesthesia 2002 ; 12 :411-415