JLAR 2005

MODES VENTILATOIRES ET MASQUE LARYNGE CHEZ L’ADULTE

Auteur : JP Matusczak

GHICl Hopital St Philibert Lomme

I) INTRODUCTION

L’élargissement des indications du masque laryngé fait évoluer l’idée d’un geste simple, rapide, d’apprentissage aisé vers le concept d’une technique plus élaborée nécessitant l’optimisation de ses différentes composantes. Le choix du mode de ventilation, la qualité de celle-ci constituent des facteurs importants de réussite et de prévention des complications.

 

 

II) CAPACITES D’ETANCHEITE DU MASQUE LARYNGE

La comparaison avec le couvercle d’une casserole d’eau bouillante qui, à partir d’un certain degré de pression, commence à se soulever illustre bien les performances d’étanchéité du masque laryngé.

Celles-ci sont fort modestes, elles sont celles d’un joint basse pression entre 20 et 30 cm d’eau, en fonction du modèle masque laryngé classique MLc ou ProSeal MLp (1).

 

 

III) SYSTEME MASQUE LARYNGE – VOIES RESPIRATOIRES

Le masque laryngé est une prothèse ventilatoire qui permet les mouvements de gaz entre les poumons et l’extérieur.

Ce dispositif est constitué d’un tube raccordé à un coussinet gonflable. Le gonflage du coussinet isole le compartiment masque laryngé – voies respiratoires sous glottiques, de l’œsophage et du pharynx grâce à l’étroit contact des parois du dispositif avec la muqueuse pharyngée.

Ce système est étanche jusqu’à un certain niveau de pression, à partir duquel les gaz s’échappent vers les structures voisines.

C’est le mécanisme de fuite soit vers l’œsophage, soit vers l’oropharynx en fonction de la résistance opposée par l’un ou par l’autre.

 

 

 

Les déterminants de cette pression de fuite sont :

-          le tonus des muscles du pharynx et du larynx, en relation notamment avec la profondeur de l’anesthésie, par déplacement avec perte de contact et/ou par augmentation des résistances. Par exemple, la fermeture de la glotte entraîne une obstruction totale.

-          la compliance thoraco-pulmonaire qui traduit la facilité du système poumon – cage thoracique à se laisser distendre, lors de l’application d’une pression, en l’occurrence celle du respirateur en anesthésie.

-          la pression intra-abdominale qui retentit sur la pression intra-thoracique dans certaines circonstances comme lors d’une anesthésie, par relâchement du diaphragme. L’obésité par le poids des viscères majore cette augmentation de pression. De même, les procédures chirurgicales telles la cœlioscopie (laparoscopie, Trendelenburg) ou la distension gastrique, stade ultime de l’insufflation, influent sur la pression intra-thoracique.

 

Inversement, la perte d’étanchéité permet lors de régurgitations le passage de liquide gastrique dans les voies respiratoires, le parenchyme pulmonaire, c’est le mécanisme d’inhalation.

 

 

IV) VENTILATION : OBJECTIFS, OPTIMISATION

Comme toute ventilation, l’objectif est d’assurer une ventilation alvéolaire adéquate, tout en évitant les fuites ou l’insufflation gastrique.

Mais sous le masque laryngé, la pression d’insufflation doit impérativement être inférieure à la pression de fuite.

En comparaison avec la sonde d’intubation, une optimisation de la ventilation s’impose : la marge de manœuvre entre efficacité et tolérance est faible. Par exemple en cas de réglages incorrects avec une sonde d’intubation, la technique n’est pas remise en question ; la sonde reste en place. Par contre, ces circonstances, sous masque laryngé, aboutissent souvent au retrait.

Cette optimisation se fait en différentes étapes.

Avant la pose du masque laryngé, un pré-réglage est effectué avec choix du mode de ventilation et sélection des paramètre de ventilation.

Juste après la pose, le niveau de pression de fuite est déterminé (2).


 

Sur le circuit machine, en mode manuel, valve d’échappement réglée à 30 cm d’H2O, avec un débit de gaz frais de 6 l/mn, la pression exercée sur le ballon s’élève jusqu’à un certain niveau, puis reste en plateau. Ce seuil représente la pression de fuite. Habituellement, elle se situe en 15 et 20 cm d’H2O parfois 25 avec le MLc, jusqu’à 30 – 35 avec le modèle ProSeal.

En deçà, il existe des fuites importantes. Au-dessus, il existe une obstruction.

Parallèlement, l’auscultation recherche la direction vers laquelle se produit la fuite : soit vers la bouche, soit vers l’estomac.

La présence de bruits épigastriques d’insufflation avec une pression de fuite inférieure à 15 cm d’H2O nécessite le retrait du ML (malposition ou profondeur d’anesthésie nettement insuffisante).

L’optimisation concerne aussi la surveillance, après le branchement au respirateur. Celle-ci porte en premier sur la pression d’insufflation, la spirométrie, la compliance (si celle-ci est disponible), puis sur la courbe de CO2 expiré et le reste des paramètres habituels de surveillance.

Enfin, seront nécessaires des ajustements immédiats (après le branchement au respirateur) ou secondaires (pendant la période d’entretien). Ils porteront sur le rapport I/E, le volume courant puis la fréquence.

Par comparaison à la sonde d’intubation, le réglage des alarmes doit être plus serré, la surveillance plus régulière et la réactivité plus grande.

 

V) MODES VENTILATOIRES ET PRINCIPES GENERAUX DE REGLAGE

a)      Le mode ventilation spontanée (V.S.) s’effectue au travers du circuit auxiliaire ou du circuit machine, avec ou sans aide inspiratoire (A.I.).

b)      Les principes généraux de réglage s’appliquent à la ventilation contrôlée (V.C.), adaptation de la ventilation minute, produit du volume courant (Vt) par la fréquence (f) en fonction des objectifs de PETCO2, adaptation de la FIO2 en fonction de la SAO2.

Le contrôle s’effectue sur le volume (V.V.C.).

Le volume courant Vt et la fréquence sont déterminés, la pression d’insufflation est la variable. Elle représente le premier paramètre de surveillance, le réglage d’alarme portera donc sur cette pression.

Le contrôle s’effectue sur la pression (V.P.C.). Pression d’insufflation et fréquence sont déterminées. Le volume courant Vt est la variable. Il représente le premier paramètre de surveillance. Le réglage d’alarme portera sur la ventilation minute.

c) Enfin, l’adjonction d’une pression positive expiratoire (P.E.E.P.) est préconisée pour la prévention des micro-atélectasies (en bandes) grâce au phénomène du recrutement. Il en résulte l’augmentation du régime des pressions. Il s’agit d’un réglage de deuxième intention.

 

 

VI) MODES VENTILATOIRES ET OPTIMISATION

A)     V.S. :

Les avantages et les inconvénients sont ceux du masque facial rigide, mais les mains restent libres.

Il existe une faible marge de manœuvre entre un niveau d’anesthésie adéquat et le maintien d’une V.S.. La dépression respiratoire nécessite une assistance manuelle régulière ou l’application d’une A.I.. Cette modalité est réservée aux gestes courts, peu douloureux.

 

B)    V.V.C. :

L’optimisation de la V.V.C. porte sur les différentes étapes et suivant l’ordre précédemment exposé.

Le pré-réglage sélectionne un Vt entre 8 et 10 ml/kg, une fréquence à 12 cycles/mn, un rapport I/E égal à 1/1,7, une pression maximale entre 25 et 30 cm d’H2O. Suivent la détermination du niveau de pression de fuite, l’auscultation et le branchement au respirateur avec un débit de gaz frais à 1 l/mn (3).

La surveillance s’effectue sur la pression de crète, puis le Vt et les autres paramètres. Les circonstances suivantes nécessiteront des ajustements immédiats.

a)               la pression de crète se situe très au-dessus de la pression de fuite, le Vt est effondré. La conduite à tenir consiste au retrait du ML et, après vérification de l’adéquation de la profondeur d’anesthésie, le masque est reposé. Au bout de deux échecs, l’indication du ML doit être revue.

b)               lorsque la pression de crète est au-dessus de la pression de fuite (différence de 8 – 10 cm H2O au maximum), l’auscultation du cou et de l’épigastre dicte la conduite à tenir suivante. En cas de fuite pharyngée, dans un premier temps, l’anesthésie doit être approfondie par réinjection d’hypnotique, par exemple Propofol 0,75 mg/kg, ou de morphinique ou par augmentation de la concentration d’halogène. Dans un second temps, le réajustement s’effectue sur le rapport I/E augmenté à 1/1, sur le volume courant et la fréquence en fonction des limites décrites au chapitre suivant.

Lorsque la fuite se produit sur l’estomac, la conduite à tenir est identique, mais l’amélioration doit être obtenue dans les trois minutes. Dans le cas contraire, le ML est retiré, la situation est celle du chapitre précédent.

c)               la pression de crète reste inférieure à la pression de fuite, la procédure suit son cours.


 

Les ajustements secondaires, habituellement en phase d’entretien, seront motivés par toute augmentation de la pression d’insufflation. La même conduite à tenir sera adoptée : auscultation, approfondissement, réajustements des paramètres ventilatoires. L’augmentation du rapport I/E à 1/1 permet de diminuer la pression. La disparition du plateau télé-expiratoire de la courbe du CO2 limite cette optimisation.

La diminution du Vt constitue la seconde intervention, à condition de ne pas compromettre la ventilation minute au point d’entraîner une hypercapnie.

Enfin, l’augmentation de la fréquence constitue le dernier recours, après avoir diminuer le Vt, pour préserver la ventilation minute. Sa faible efficacité la fait réserver aux fins d’interventions.

Quand le monitorage du respirateur permet la mesure de la compliance, celle-ci constitue un excellent paramètre de surveillance. En effet, dans ce rapport, deux valeurs importantes sont intégrées : le Vt et la pression d’insufflation. Une valeur habituelle supérieure à 30 (parfois atteignant 70 voire 90) objective la bonne tolérance de la ventilation. Au contraire, inférieure à 20, elle correspond soit à un mauvais positionnement, soit à un niveau d’anesthésie nettement insuffisant.

 

C)    V.P.C. :

En ventilation à pression contrôlée, l’ordre des étapes d’optimisation et les règles d’ajustement restent comparables.

La pression d’insufflation est pré-réglée à 15 cm d’H2O. La fréquence à 12 cycles/mn, un rapport I/E à 1/1,7. La surveillance porte d’abord sur le Vt délivré, sur la compliance et les autres paramètres habituels.

L’optimisation comporte des ajustements immédiats et secondaires, l’objectif est l’obtention d’un Vt de 8 à 10 ml/kg, avec la pression la plus faible possible.

L’avantage de cette modalité consiste en une diminution de 2 cm H2O par rapport à la V.V.C.. Cette modalité constitue le premier choix.

 

 

VII) CONTRE-INDICATIONS

Les contre-indications retenues par la Conférence de consensus SFAR, 2002, accès aux voies aériennes (4) sont : l’estomac plein, le risque de pression d’insufflation élevée, l’absence d’accès aux voies aériennes, le reflux gastro-oesophagien (R.G.O.), la chirurgie abdominale haute et thoracique.

Il s’agit de recommandations de faible grade, E, une discussion peut s’ouvrir.

L’estomac plein, la grossesse, la chirurgie en urgence, le polytraumatisé restent des contre-indications (C.I.) formelles ; l’obésité pathologique plus par les difficultés de ventilation que par le risque d’inhalation de même.

Mais la question reste posée pour l’obésité dont le BMI est compris entre 30 et 40. Certaines études ont inclus cette population dans leur effectif (5) (6).

Les antécédents de hernie hiatale symptomatique de chirurgie ayant entraîné la disparition du sphincter oesophagien supérieur ou inférieur ou de chirurgie digestive complexe (gastrectomie…) invitent à l’extrême prudence. Par contre, le RGO et la hernie hiatale sans manifestation clinique au moment de l’intervention n’ont pas été retenues comme contre-indication dans l’une des études précédentes (6).

 

Quels sont les risques avec le respect de ces contre-indications ?

Une inhalation bronchique sous masque laryngé avait été notée dans une méta-analyse de 12 901 patients. Les auteurs concluaient à une similitude de risque entre le ML et la sonde d’intubation (7).

A titre de comparaison, l’incidence de ce risque en cas d’intubation reste faible 1,5 à 9 cas pour 10 000 anesthésies. Les circonstances favorisantes sont l’urgence, la grossesse, l’obésité, le diabète et l’intubation difficile (8).


 

INDICATIONS

En 1994, A. Brain, concepteur du ML, retenait comme indication le sujet à jeun, les interventions ne nécessitant pas de curare.

L’auteur soulignait la nécessité du respect des contre-indications et celle d’un opérateur expérimenté (9) ; d’autres auteurs cités par Banchereau (10) insistent sur le rôle important de l’expérience de l’opérateur. Pour Brimacombe, plusieurs centaines de poses sont nécessaires pour acquérir celle-ci.

Cooper (11) en 2000 évalue l’utilisation du ML à 150 millions d’exemplaires, depuis sa commercialisation en 1988.

Actuellement sont retenues comme indication, les interventions de très courte durée à moyenne durée pratiquées en chirurgie proctologique, en traumatologie, en gynécologie, en chirurgie abdominale pariétale, en urologie et en chirurgie vasculaire périphérique.

Le moindre retentissement hémodynamique sur un terrain fragilisé par l’âge constaté lors de la pose d’un ML est intéressant à noter dans les dernières indications.


 

De nouvelles indications, notamment en chirurgie laparoscopique et obstétricale (12) sont proposées actuellement.

En ce qui concerne la césarienne, le recours croissant à l’anesthésie médullaire est en relation directe avec la diminution de la mortalité. Le masque laryngé a été utilisé avec succès dans des situations d’intubation difficile ; il constitue une proposition de l’algorithme décisionnel (A.S. Bouthors JLAR).

Les résultats sont contradictoires dans les études s’intéressant aux risques liés à la laparoscopie. Les méthodologies sont variées.

Pour la coeliochirurgie gynécologique, les risques sont considérés comme faibles, proches de ceux de la sonde d’intubation (6 - 10 - 13 - 14).

Les effectifs des essais portant sur la cholécystectomie par cœlioscopie sont trop faibles (5 - 15 - 16).

Il semble que l’utilisation du modèle ProSeal soit préférable, mais un cas d’inhalation (17) et un cas d’insufflation gastrique (18) ont été publiés.

Seule la confirmation de l’absence de risque accru par rapport à la sonde d’intubation permettra aux patients de bénéficier d’une moindre morbidité pharyngo-laryngée.

 

CONCLUSION :

L’optimisation de la ventilation, le choix judicieux de la taille, la qualité de la pose, l’adéquation de la profondeur de l’anesthésie constituent autant de facteurs de réussite. Les indications du masque laryngé connaissent une extension marquée, mais les limites restent à déterminer.


 

BIBLIOGRAPHIE

 

(1)               The Laryngeal Mask Company, Henley on Thomes, UK

 

(2)               Keller C., Brimacombe J.P. Comparison of four methods for assessing airway sealing pressure with the laryngeal mask airway in adult patients. Br J. Anaesth, 1999 ; 82 : 286 – 7.

 

(3)               Honnemann CW., Hahnenkamps K., Mollhoff T., Baum J.A. Minimal – flow anaesthesia with controlled ventilation : comparison between laryngeal mask airway and endotracheal tube. Eur J. Anaesthesiol, 2001 ; 18 : 458 – 66.

 

(4)               Société Française d’Anesthésie et de Réanimation. Conférence d’experts. Prise en charge des voies aériennes en anesthésie adulte à l’exception de l’intubation difficile. Ann Fr Anesth, Réanim, 2003 ; 22 : 745 – 9.

 

(5)               Maltby J-R., Beriault M.T., Watson N.C., Liepert D., Fick G.H. The LMA – ProSeal is an effective alternative to tracheal intubation for laparoscopic cholecystectomy. Can J. Anaesth, 2002 ; 49 : 857 – 62.

 

(6)               Maltby J-R., Beriault M.T., Watson N.C., Liepert D., Fick G.H. LMA – Classic and LMA – ProSeal are effectives alternatives to endotracheal intubation for gynecologie laparoscopy. Can J. Anaesth, 2003 ; 50 : 71 - 7.

 

(7)               Brimacombe J-R., Berry A. The incidence of aspiration associated with the laryngeal mask airway : a meta-analysis of published literature. J. Clin Anaesth, 1995 ; 7 : 297 – 305.

 

(8)               Devos N., Dureuil B. Le syndrome d’inhalation. Conférences d’actualisation. Ann Fr Anesth Réanim, 2000 ; 127 – 39.

 

(9)               Brain A.I.J.. Le masque laryngé. Conférences d’actualisation. Ann Fr Anesth Réanim, 1994 ; 25 – 31.

 

(10)           Banchereau F. Le masque laryngé est-il contre-indiqué pour la chirurgie laparoscopique. JEPU, 2005 ; 47 – 53.

 

(11)           Cooper R.M. The LMA, laparoscopie surgery and the obese patient – can vs should. Can J. Anaesth, 2003 ; 50 : 5 – 10.

 

(12)           Han H.T., Brimacombe J-R., Lee J.E., Yand H.S. The laryngeal mask airway is effective (and probably safe) in selected healthy parturients for elective cesarian section : an prospective study of 1 067 cases. Can J. Anaesth, 2001 ; 48 : 117 – 21.

 

(13)           Verghese C., Brimacome J-R. Survey of laryngeal mask airway usage in 11 910 patients ; sufety and efficacity for conventional and non conventional usage. Anesth Analg, 1996 ; 82 : 129 – 33.

 

(14)           Bapat P.P., Verghese C. Laryngeal mask airway and the incidencity of regurgiation during gynecologial laparoscopies. Anesth Analg, 1997 ; 85 : 139 – 43.

 

(15)           Maltby J-R., Beriault M.T., Watson N.C., Liepert D., Fick G.H. Gastric distension and ventilation during laparoscopie cholecystectomy : LMA – Classic vs trancheal intubation. Can J. Anaesth, 2000 ; 47 : 622 – 6.

 

(16)           Lu P.P., Brimacombe J., Yang C., Shegr M. ProSeal versus the classic laryngeal mask airway for positive pressure ventilation during laparoscopic cholecystectomy. Br J. Anaesth, 2002 ; 88 : 824 – 7.

 

(17)           Brimacombe J., Keller C., Berry A. Gastric insuflation with the ProSeal laryngeal mask. Anesth Analg, 2001 ; 2001 : 92 : 1614 – 15.

 

(18)           Brimacombe J., Keller C.. Aspiration of gastric contents during use of a ProSeal laryngeal mask airway secondary to unidentified folder malposition. Anesth Analg, 2003 ; 97 : 1192 – 4.