ANESTHESIE LOCOREGIONALE POUR CESARIENNE EN URGENCE

A. GAUCHER
DARCI, CHRU LILLE

 Cette communication s'inscrit dans le thème : Anesthésie pour Césarienne en urgence,
 débat pour l'AG (pas de texte) ou pour l'ALR (texte ci dessous)

La césarienne en urgence est l’une des situations les plus fréquentes et les plus stressantes rencontrées en milieu obstétrical. Pourtant, ce terme « urgences » englobe un ensemble de conditions médicales et obstétricales ne mettant pas toujours en danger la mère et l’enfant de manière immédiate. En effet le terme soufrance fœtale aiguë a peu de valeur prédictive positive, puisqu’il conduit souvent à la naissance par césarienne en urgence d’un enfant bien portant. Seulement 13-18% des césariennes dites urgentes demandent un accouchement imminent (21,26).

C’est dans ces circonstances où l’extraction peut être retardée et aussi grâce au développement de l’analgésie péridurale de travail que la prise en charge anesthésique de la césarienne en urgence a évolué depuis une dizaine d’années, laissant une place de plus en plus importante à l’anesthésie locorégionale (ALR).

Pourquoi choisir une anesthésie locorégionale ?

Les risques liés à l’anesthésie pour césarienne sont connus. L’enquête triennale britannique nous indique que l’anesthésie est l’une des causes majeures de mortalité maternelle, principalement lors de césariennes en urgence où le risque est multiplié par 6 par rapport à une césarienne programmée (29,30). Neuf des 10 décès survenus lors de cette chirurgie l’ont été sous anesthésie générale (AG) faisant suite à des difficultés d’intubation et/ou au syndrome de Mendelson (5, 29, 30).

En effet, le risque d’intubation difficile est majoré en obstétrique par rapport à la situation chirurgicale classique (1/250 contre 1/2000) (7,19). Le danger de syndrome de Mendelson associé à l’anesthésie générale est lui aussi augmenté par les modifications physiologiques de la grossesse portant sur le tractus digestif (7, 19, 35).

Mais l’urgence vraie et l’anesthésie générale ne sont pas les seuls responsables de mort maternelle lors de césarienne. Selon les enquêtes confidentielles menées en Angleterre et au Pays de Galles entre 1973 et 1988, 9 décès sont directement liés à la péridurale obstétricale (8). Aux Etats Unis,  un décès en obstétrique  sur quatre est lié à l’ALR (18). Mais lors de césarienne le risque de décès est 16,7 fois plus important sous AG que sous ALR. Les principales causes retrouvées lors de ces décès sont associés aux accidents de toxicité systémique des anesthésiques locaux et aux extensions exagérées du niveau supérieur des blocs (8,18).

Malgré la connaissance de ces risques et les mesures prophylactiques mises en œuvre, les accidents liés à l’anesthésie sont actuellement toujours présents, et ceci est particulièrement vrai pour l’anesthésie générale ( 1,5% des décès maternels en France en 1996 sont liés à des difficultés d’intubation ) (4,6).

Actuellement plusieurs études démontrent que l’ALR est possible dans près de 70% des césariennes en urgence dans de bonnes conditions, sans aggraver ni l’état maternel ni l’état fœtal (21). Par ailleurs 87 % des césariennes effectuées en urgence sont prévisibles permettant ainsi d’informer la patiente et d’effectuer dans de bonnes conditions une anesthésie locorégionale (15,16,21).

L’ensemble de ces éléments incite à recourir à l’ALR particulièrement lors de l’urgence, la nécessité d’effectuer une anesthésie générale ne devant être réservée que lors de situations d’exception ou d’échec d’ALR.

Contre-indications à l’ ALR ?

Refus maternel :

Il est principalement lié à un défaut d’information , il est donc important de dépister les patientes à risque de césariennes et/ou présentant une contre indication à l’anesthésie générale afin de les informer des techniques et des complications possibles lors de consultation anesthésique à distance de l’accouchement pour obtenir leur consentement (15,16,17).

Infection sur le site de ponction :

Cela représente très rarement un problème car  il suffit de choisir un site de ponction différent. Même dans le cas de pathologie infectieuse modérée traitée ou non, le risque de contamination est extrêmement faible particulièrement par voie épidurale. Ce qui n’est pas le cas lors de tableau septique bactérien ou viral ou l’ALR reste contre indiqué (12).

Pathologies neurologiques et neuromusculaires :

L’information du patient reste primordiale dans ce cas, car l’innocuité des ALR sur les atteintes neurologiques reste très discutée, particulièrement lors d’une analgésie de confort. Cependant dans de nombreux cas la balance de risque reste en faveur de l’ALR lors d’une césarienne programmée ou en urgence (10).

Anomalie de la coagulation :

Elle reste une contre indication évidente à toute ALR, qu’elle soit constitutionnelle ou acquise (37). Bien sur si un cathéter de péridurale est en place  lors de l’apparition d’une coagulopathie il peut être utilisé. Il faudra se méfier de  certaines dysgravidies maternelles associées à des troubles de l’hémostase primaire ou lors de situation obstétricale à forte probabilité de coagulation intra vasculaire disséminée (MFIU, HRP méconnue) (17).

 Risques fœtaux et soufrance fœtale aiguë  :

L’anesthésie générale est plus rapide mais elle peut entraîner une diminution importante du DUP d’autant plus délétère qu’il existe une hypoxie fœtale (9,13,14,20).Si l’hémodynamique maternelle est préservée les scores comportementaux et les pH sont sensiblement meilleurs sous ALR lors des césariennes effectuées en urgence et chez les enfants prématurés (3,13,14,20,27,33).

Délais insuffisant pour ALR :

C’est la première raison invoquée pour effectuer une anesthésie générale, mais celle-ci ne peut être effectuée qu’en salle d’opération. Quinn (26) montre que le délais moyen d’extraction, toutes indications confondues est de 25 minutes. Ce temps est suffisant pour convertir une analgésie péridurale de manière efficace ou pour effectuer une rachianesthésie (25,34,36), à condition que ce geste soit effectué par un anesthésiste expérimenté (17,23,36).

Echec de l’ALR :

Les données sont très variables en fonction des techniques. En ce qui concerne la rachianesthésie, il existe une quasi certitude d’obtenir un bloc sensitif inférieur satisfaisant (17,34,36). Pour la péridurale, elle est jugée inefficace dans 3% des cas pour Ong (23) et 7% pour Morgan (27) conduisant à effectuer une anesthésie générale. Dans le cas d’une césarienne en urgence sous ALR c’est l’efficacité qui doit conditionner le choix de la technique.

Critères de choix entre les différentes méthodes d’ALR :

Anesthésie péridurale :

L’intérêt principal de l’anesthésie péridurale pour la césarienne en urgence réside en l’existence d’un cathéter déjà en place et efficace pour une analgésie du travail (87% des accouchements à l’hôpital Jeanne de Flandre en 1999). En effet Price (25) a montré que la ré-injection de xylocaïne adrénaliné permettait d’obtenir une anesthésie de niveau T4 en 7 minutes en moyenne (constamment inférieur à 12 minutes). Une anesthésie cutanée est effective dès les premières minutes permettant le début de l’acte chirurgical. L’injection en salle de travail et la suppression des tests vérifiant la qualité et l’extension du bloc diminue encore ce délai (2). L’association aux anesthésiques locaux de vasoconstricteurs et de dérivés morphiniques réduit le temps d’installation du bloc et améliore la qualité de l’anesthésie en diminuant les douleurs viscérales résiduelles(17,22,36).

Dans le cas d’urgences dites relatives (17,24), le moindre retentissement hémodynamique de l’anesthésie péridurale, plus progressif que la rachianesthésie peut devenir un argument décisif  lorsque la situation hémodynamique est au premier plan (1,3,9,11,20,22,28).

 Rachianesthésie :

Sa mise en œuvre est rapide, Elle permet d’obtenir un niveau D10 en 2 minutes et en 7 minutes un niveau D4 suffisant pour le temps intrapéritoneal (34,36).Cette technique est fiable dès lors qu’un reflux de LCR authentifie la position de l’aiguille en sous arachnoïdien (36). La faible quantité d’anesthésiques locaux utilisés rend nul tout effet toxique chez la mère ou le fœtus (5,17). Cependant on ne retrouve aucune différence en ce qui concerne les scores comportementaux des nouveaux nés sous rachianesthésie ou sous péridurale (3,17). L’association aux anesthésique locaux de dérivés morphiniques permet d’obtenir une analgésie per et post opératoire de qualité sans dépression néonatale (17,36).

Le principale inconvénient de cette technique, réside dans la fréquence et l’importance de l’hypotension comparée à ce que l’on observe lors d’une péridurale. Si l’hypotension est brève et/ou contrôlée, son retentissement sur le débit utero placentaire est minime (1,11,24,27,28,32). Cependant Robert (31) décrit, dans le cadre de césariennes programmées, un nombre d’acidoses fœtales plus élevé sous rachianesthésie, par rapport à la péridurale et à l’anesthésie générale, qu’il attribue au modification hémodynamique de cette technique. Cet effet indésirable survenant dans près de 60 à 90% des cas (1,3,17,21,32), pourrait s’avérer très délétère en cas de souffrance fœtale associée. Mais Marx (20) dans le cadre de césarienne en urgence pour souffrance fœtale ne retrouve pas de différence entre la péridurale et la rachianesthésie  pour les scores d’Apgar et les gaz du sang. Il démontre que cette technique bien maîtrisée peut être utilisée en urgence lors d’hypoxie fœtale.

Autres techniques :

Rachi-péri séquentielle :

Quelque soit le matériel et la technique employée elle rassemble théoriquement les avantages des deux techniques, rapidité et efficacité de la rachianesthésie associés à la gestion et à la prolongation du bloc de la péridurale (24,36).Mais sa réalisation technique est plus longue à mettre en œuvre, ce qui la rend peu adaptée au cadre de l’urgence et expose toujours au risque d’hypotension maternelle lié à la rachianesthésie.

Rachianesthésie continue :

Cette technique ne semble pas recommandée aux situations d’urgences (17,24,36). Elle peut être réservée à des patients présentant des modifications anatomiques du rachis lorsque la mise en place d’un cathéter de péridurale est impossible.

Conclusion :

Lors d’une césarienne en urgence, le point de vue de l’anesthésiste est tout aussi essentiel que celui de l’obstétricien car la majorité des décès maternels secondaires à l’anesthésie survient sous anesthésie générale au décours de césariennes.

Le dépistage et l’information de la patiente à risque lors de la consultation d’anesthésie à distance de l’accouchement doivent permettre d’anticiper et de proposer un choix de techniques adaptées aux conditions maternelles, fœtales et obstétricales.

L’anesthésie locorégionale, dans des mains expérimentées, peut être considérée comme une technique adaptée aux césariennes en urgence. L’anesthésie générale, même si elle paraît techniquement plus facile et rassurante, reste responsable d’une morbi-mortalité importante et ne doit être réservée qu’aux urgences extrèmes et/ou aux contre indications de l’ALR.

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