LE PATIENT SOUS ANTIPLAQUETTAIRE OU ANTICOAGULANT
Indications neurologiques. Modalités d’arrêt et de relais

Didier LEYS

Service de Neurologie et Pathologie Neurovasculaire., CHU de Lille. Hôpital Roger Salengro. 59037 Lille.

 

Problématique.

En dehors des indications non spécifiques des anticoagulants (AC) chez des patients immobilisés pour des raisons neurologiques, que nous ne traiterons pas, les indications neurologiques des antiplaquettaires (AP) et des AC se limitent au domaine des accidents vasculaires cérébraux (AVC). Dans une population d’un million d’habitants, 2400 AVC (80% ischémiques) et 500 accidents ischémiques transitoires surviennent chaque année et viennent s’ajouter aux 12000 survivants d’AVC ou AIT dont la plupart reçoivent un traitement AC ou AP. Certains de ces patients subissent une intervention chirurgicale et posent alors le problème du risque lié à l’arrêt de ces traitements.

Objectif. L’objectif est de préciser, vu du point de vue du neurologue, les modalités d’arrêt éventuel des antiagrégants ou des anticoagulants prescrits pour un AVC.

Les indications neurovasculaires des antiplaquettaires et des anticoagulants.

Les AP et les AC ont été testés en phase aiguë des AVC. Dans les ischémies cérébrales artérielles, les AC n’ont fait preuve d’une efficacité (marginale) que dans un seul essai, tandis que tous les autres essais ont été négatifs, ainsi que la méta-analyse, y compris dans le sous groupe de patients avec fibrillation auriculaire. L’héparine n’a donc pas d’indication curative en phase aiguë. En revanche l’aspirine (160 à 300 mg) réduit le risque de décès ou dépendance à un mois, le nombre de malade à traiter pour éviter un événement (NTT) étant de 83 (par analogie, NTT = 12 pour le rt-PA dans les 3 heures et 16 pour l’organisation en unité neurovasculaire). L’analyse détaillée des 2 essais positifs avec l’aspirine montre que ce traitement diminue le risque de décès et handicap à 1 mois, simplement en prévenant les récidives précoces. Dans les accidents veineux, en revanche, l’héparine a un effet favorable prouvé et important sur la mortalité et le handicap (NTT = 12).

Les AP et les AC ont aussi été testés en prévention secondaire, et sont surtout prescrits dans cette indication. A côté la correction des facteurs de risque modifiables et du traitement chirurgical des sténoses carotides à haut risque (sténoses symptomatiques > 70%), un traitement AP ou AC est toujours indiqué dans les ischémies cérébrales, et le choix dépend de la cause présumée. Les antiplaquettaires, constituent la base de la prévention de la plupart des ischémies cérébrales. Ils ont une efficacité prouvée dans la prévention de l’ischémie cérébrale liée à l’athérosclérose: si l’aspirine (50 à 1300 mg), la ticlopidine (500 mg), le clopidogrel (75 mg) et le dipyridamole (400 mg) sont efficaces, l’efficacité maximale est obtenue avec le clopidogrel, la ticlopidine et l’association aspirine - dipyridamole. L’aspirine est aussi indiquée dans la plupart des autres causes d’ischémies cérébrales, sauf dans les cardiopathies à haut risque embolique et les dissections artérielles cervicales, où, en l’absence de contre indication majeure l’héparine, puis les antivitamines K sont indiqués.

 

Quel est le risque de l’arrêt momentané des antiplaquettaires et des anticoagulants prescrits pour des raisons neurovasculaires ?

Il est exceptionnel de devoir opérer un patient en phase aiguë d’une ischémie cérébrale. Les indications neurochirurgicales étant exceptionnelles (volet décompressif, dérivation pour infarctus du cervelet), ce sont les interventions de chirurgie orthopédiques qui sont les moins rares à ce stade. Les AC n’ayant fait preuve d’une efficacité, y compris en cas de fibrillation auriculaire, il n’y a donc pas de raison neurologique d’en imposer la poursuite. Il convient donc de laisser l’anesthésiste et le chirurgien parfaitement libres de l’attitude à adopter vis à vis des AC, comme pour tout autre patient. En revanche, dans les accidents veineux récents, et dans les accidents sur prothèse cardiaque mécanique, le risque d’aggravation à l’arrêt de l’héparine est majeur et dans la mesure du possible l’intervention doit se faire sous AC ou avec l’interruption la plus courte possible. En pratique le problème se pose peu pour les AP dans un contexte de situation urgente, en raison de l’action prolongée de ces agents.

La situation est différente quand les AP ou les AC sont prescrits en prévention secondaire, et que le patient doit subir une intervention réglée non urgente. Il faut mettre dans la balance le risque (vital et fonctionnel) encouru si l’intervention se déroule sous AP ou AC (dépendant du type de chirurgie) et celui encouru au plan neurologique en cas d’arrêt de ces traitements. Si l’on considère un arrêt de 10 jours pour les antiplaquettaires, le risque d’événement grave (décès, infarctus du myocarde, infarctus cérébral) peut être estimé à environ 1 pour 300 patients opérés, lorsque la cause de l’ischémie cérébrale était une sténose carotide > 70% ou une fibrillation auriculaire, et 1 pour plus de 1000 patients opérés dans les autres causes. Le risque est majeur en revanche dans les prothèses valvulaires mécaniques. Le cas particulier de l’endartérectomie carotide doit être souligné  car c’est la seule situation  où la conduite pratique peut être orientée par un essai clinique : dans l’essai MACE, les patients recevaient en périopératoire soit de l’aspirine (80mg / j) soit un placebo : l’essai a du être interrompu en raison d’un excès signifiatif d’infarctus du myocarde dans le groupe placebo. La prescription d’aspirine en périopératoire s’impose donc dans la chirurgie carotide en raison du haut risque coronaire de ces patients.

Quel Conduite proposer ? 

D’une façon générale il convient donc de laisser l’anesthésiste libre de la prescription ou de l’arrêt des AC et des AP en périopératoire et dans la majorité des cas ces patients encourent un faible risque si l’arrêt des AP ou AC est court. Il y a cependant des circonstances qui échappent à cette règle et où l’arrêt doit être évité ou limité au strict minimum : c’est le cas en phase aiguë d’une thrombose veineuse cérébrale et chez les patients porteurs de prothèses mécaniques, et dans la chirurgie carotidienne. Dans tous les cas la décision doit être prise en mettant dans la balance le risque neurologique et le risque chirurgical.