MODES D’ACTION DES INHIBITEURS DU FONCTIONNEMENT PLAQUETTAIRE ET DES ANTICOAGULANTS

Thomas LECOMPTE,

 PU-PH en hématologie, Nancy

Les inhibiteurs du fonctionnement plaquettaire (IFP), appelés communément mais  improprement « anti-agrégants », disponibles en France en 2000 sont soit des médicaments administrés per os , inhibiteurs des systèmes activateurs médiés par le thromboxane (inhibiteurs de la PGH-synthase : aspirine, flurbiprofène) ou l’ADP (thiénopyridines : ticlopidine, clopidogrel), soit des inhibiteurs de la liaison du fibrinogène au complexe glycoprotéique GPIIb/IIIa (« anti-IIb/IIIa »). Ces derniers produits sont administrés par voie veineuse à la phase aiguë de la pathologie coronaire athéroscléreuse, en association avec aspirine  (abciximab, eptifibatide, tirofiban). Ils peuvent être responsables de thrombopénies suraiguës.

Thiénopyridines et aspirine sont des inhibiteurs irréversibles : la récupération plaquettaire totale est obtenue progressivement sur une dizaine de 10 jours. Abciximab persiste plusieurs jours à la surface plaquettaire, tandis que l’effet des 2 autres anti-IIb/IIIa disparaît en quelques heures après l’arrêt de la perfusion.

Les combinaisons aspirine + thiénopyridine et aspirine + anti-IIb/IIIa affectent le comportement plaquettaire de manière nettement plus marquée que l’administration exclusive d’aspirine. Il n’y a pas de données cliniques indiquant que l’adjonction de dipyridamole sous sa nouvelle forme galénique retard à l’aspirine doive changer la conduite pratique en cas d’acte vulnérant par rapport à aspirine seule.

Il existe une variabilité interindividuelle de l’effet global induit sur l’hémostase avec tous ces médicaments. Ticlopidine et clopidogrel aux posologies recommandées ont un effet similaire sur les plaquettes. Une dose de charge de thiénopyridine raccourcit le temps nécessaire à l’obtention du plein effet sur les plaquettes (qui est avec les posologies recommandées, de une semaine). Après 160 mg d’aspirine l’effet maximal est obtenu en une heure. Avec 50 mg par jour d’aspirine l’effet sur la synthèse de thromboxane est maximal.

Les IFP ne retentissent pas sur les tests usuels de coagulation. Le test de coagulation par la voie intrinsèque, en sang total natif, ou Activated Clotting Time, est influencé par les anti-IIb/IIIa. L’intérêt clinique de certains petits appareils d’exploration simplifiée du comportement plaquettaire est à l’étude.

 

Les anticoagulants actifs par voie orale ne sont toujours représentés que par les antagonistes de la vitamine K (AVK). Leur effet sur la coagulation est évalué par le temps de Quick, exprimé en INR. C’est le test biologique de surveillance d’un traitement anti-thrombotique dont la valeur clinique est la mieux établie ; malheureusement la conversion du temps en INR n’est pas qu’une simple opération d’algèbre, et il n’est pas certain que tous les efforts soient faits pour en assurer la qualité. La réversibilité de l’effet est bien connue pour la warfarine : 4 jours, si l’INR avant arrêt est dans la zone thérapeutique, c’est-à-dire entre 2,0 et 3,0. Cette réversibilité est accélérée par l’administration de quelques milligrammes de vitamine K : moins d’un jour.

 

Les anticoagulants administrés par voie parentérale sont représentés par les héparines, et 2 médicaments utilisés dans le contexte du syndrome Thrombopénie Induite par une Héparine (TIH), à savoir danaparoïde et une hirudine recombinante, lépirudine ; la pharmacocinétique de ces deux médicaments est très influencée par la fonction rénale. Une autre hirudine recombinante, désirudine, a une AMM pour la prévention de la thrombose veineuse en chirurgie orthopédique.

L’héparine non fractionnée (HNF), qu’elle soit administrée en IV continue, ou en injections sous-cutanées, a une pharmacodynamie qui est bien étudiée, et la protamine est son antidote. La pharmacodynamie, fondée sur l’activité anti-Xa, des héparines de faible masse moléculaire (dites « HBPM ») est également établie ; les particularités des schémas d’administration en une seule injection quotidienne d’une HBPM pour un épisode veineux doivent être connues de l’utilisateur.

Le mode d’action du mélange de glycosaminoglycans qu’est danaparoïde est mal compris ; une activité anti-Xa est décelable en biologie clinique.

Les hirudines-médicaments enfin sont des anti-thrombiniques directs et exclusifs. Leur administration entraîne un allongement des temps de coagulation : TCA et Quick. Une très bonne question est : pourquoi il y a une différence sous cet aspect avec l’HNF, qui a aussi une activité anti-thrombinique mais qui allonge très peu le temps de Quick ? Une discussion utile avec un hématologiste doit permettre d’en comprendre la réponse.

 

Ceci illustre le fait que l’utilisateur des antithrombotiques doit posséder un certain niveau de compréhension de leurs modes d’action, de leur pharmacodynamie, et de leur retentissement sur les tests biologiques, faute de quoi son exercice risque d’être réduit à l’application de recettes plus ou moins bonnes, recettes qu’il ne faut pas confondre avec des Recommandations de Pratique Clinique (RPC) fondées sur les preuves, compréhensibles, et donc utiles. Il serait intéressant de savoir combien de groupes d’anesthésistes ont de telles RPC, et ... de les comparer et les analyser !

 

A noter que peu d’antithrombotiques ont un antidote : protamine pour HNF, et dans une certaine mesure pour HBPM ; vitamine K et Kaskadil pour AVK.

 

Noms de spécialités des DCI mentionnées dans ce texte