PREVENTION DE L'INFECTION NOSOCOMIALE EN ANESTHESIE

P. GORCE
D.A.R. - CHU Jean-Verdier - Avenue du 14 juillet - 93143 BONDY

Les infections nosocomiales liées à l'anesthésie (INLA) sont encore négligées dans notre pratique quotidienne, malgré des pratiques en amélioration constante. Ceci peut s'expliquer par plusieurs facteurs :

·       les INLA semblent peu fréquentes, mais les études épidémiologiques sur de grands échantillons sont encore très rares,

·       les INLA sont souvent sous-estimées en raison du caractèe mineur de la majorité des infections,

·       les produits utilisés au cours des anesthésies sont peu propices à la croissance bactérienne.

Néanmoins, les techniques invasives utilisées et le retentissement des drogues anesthésiques sur le système immunitaire plaident pour la réalité des INLA.

Définition :

Les INLA sont les infections postanesthésiques directement liées à l'anesthésie et aux gestes qui l'accompagnent. On peut attribuer à l'anesthésie les infections ORL (intubation), bronchopulmonaires (intubation, ventilation assistée, aspirations), ophtalmologiques (absence de protection des yeux), les infections liées aux cathéters centraux et aux cathéters de veine courts, et les infections neuroméningées. Ces définitions excluent les infections du site. Cependant, certaines infections du site opératoire ont été attribuées à l'anesthésie après enquête microbiologique  [1-3] . Afin de standardiser les taux recueillis et d'en permettre la comparaison, le CDC a proposé une définition précise des infections nosocomiales  [4] , reposant avant tout sur des critères cliniques et microbiologiques, simples à recueillir.

En anesthésie, notamment, le risque infectieux n'est pas uniquement bactérien. Le risque de contamination virale est présent en permanence, surtout en ce qui concerne les virus HCV et HBV. Des cas de réactivation virale des herpesviridae et du CMV ont également été reportés.

La contamination des patients peut se faire par deux voies : la contamination exogène est la plus fréquente  et se fait soit directement par le personnel (transmission manuportée) , soit par le matériel insuffisament désinfecté. Des cas de contamination exogène à partir d'ampoules contaminées de propofol ont été rapportées. La contamination du produit lors de la préparation de la seringue, l'emploi d'une même seringue sur plusieurs patients successif et un long delai entre la préparation et l'administration sont des facteurs évidents et démontrés.

La contamination endogène se fait à partir des propres bactéries du patient qui colonisent puis infectent une zone stérile à l'occasion d'un geste invasif (ponction pour rachianesthésie, intubation trachéale, cathéter veineux...).

Le risque infectieux concerne également le personnel soignant qui fait partie des catégories à risque pour les infections par les virus HIV, HCV et HBV et par le bacille de la tuberculose. Il doit impérativement prendre toutes les précautions nécessaires afin d'éviter le contact avec le sang et les sécrétions, quelque soit le statut sérologique du patient. En cas d'exposition à un produit contaminant, il doit exister au sein de l'établissement des procédures afin de proposer un suivi sérologique et de décider de l'opportunité d'un traitement prophylactique envers le VIH. En ce qui concerne le risque infectieux lié au virus de l'hépatite B et au bacille tuberculeux, seule la vaccination permet une protection efficace.

Actions de prévention :

La stratégie de prévention des INLA doit s'effectuer selon la même méthodologie que celle employée pour la lutte contre les infections nosocomiales [5] . Elle s'organise selon trois axes : la diffusion et le respect des règles d'hygiène, la surveillance des infections, et le contrôle des procédures.

Le CDC ( Center for Diseases Control ) a classé en trois catégories les mesures de prévention des infections nosocomiales en fonction de leur degré de recommandation  [5, 6] .

Les  précautions universelles sont des mesures de niveau 1, c'est à dire ayant prouvé leur efficacité par la réduction du risque d'acquisition d'une infection nosocomiale. Elles concernent :

·       Le lavage des mains dont le but est d'éliminer la flore pathogène et de réduire la flore résidente. Il existe deux types de lavage : le lavage hygiénique et la désinfection hygiénique. Le lavage hygiénique doit être pratiqué avant et après tout contact avec un patient. Il est réalisé à l'aide d'eau et de savon et sa durée minimale est de dix secondes. La désinfection hygiénique doit être pratiquée avant les procédures invasives, les soins aux nouveau-nés ou aux immunodéprimés, avant et après avoir touché des plaies ou des dispositifs invasifs, et après tout contact avec un patient infecté ou colonisé par des germes multirésistants ou avec des matières organiques pouvant être contaminées (sang, urine, sécrétions...). Elle est réalisée à l'aide d'eau et d'un antiseptique, et doit durer au moins une minute. Le port de gants ne dispense pas du lavage des mains.

·       Le port du masque vise à prévenir l'inhalation de micro-organismes aéroportés par des particules émises au cours de la parole, de la toux ou des éternuements. Il permet d'éviter la contamination des plaies, des lésions cutanées et des dispositifs médicaux invasifs notamment lors de leur pose.

·       Le port de gants constitue une prévention de la transmission croisée des infections manuportées pour le patient et pour le personnel. Il doit être systématique. Le port de gants stériles s'impose lors des pansements et lors de la pose ou de la maintenance des matériels invasifs. Les gants (stériles ou non) doivent être à usage unique. Leur pose et leur dépose doivent être précédées d'un lavage des mains.

·       La couverture des cheveux et l'emploi de blouses largement protectrices font également partie des précautions universelles au bloc opératoire.

D'autres mesures sont plus spécifiques à l'anesthésie. L'ASA  [7] , l'AORN [8] , l'AANA [9] et le CDC [6] ont proposé des recommandations concernant les procédures d'hygiène et de désinfection des matériels.

·       En cas de procédure invasive (accès veineux, artériel etc.) : le matériel doit être stérile et la stérilité doit être contrôlée au moment de la procédure. La procédure elle-même doit s'effectuer dans des conditions strictes d'asepsie. L'asepsie doit également être rigoureuse lors des manipulations.

·       En cas de procédure mettant en contact un matériel avec des muqueuses : le matériel doit avoir fait l'objet d'une désinfection de haut niveau. Celle-ci se définit par la destruction de toutes les bactéries, levures et virus. Sont concernés :  les laryngoscopes, masques de ventilation, sondes thermiques oesophagiennes ou rectales,... En cas de réutilisation de ce type de matériel, la décontamination doit évidemment être pratiquée après un nettoyage parfait. Celui-ci se fera selon les recommandations du constructeur. Aucun travail ne permet, à l'heure actuelle, de recommander l'usage systématique de circuits jetables et filtres après chaque patient. Les prélèvements bactériologiques de routine ne sont pas justifiés. Il n'existe pas de recommandations quant à la périodicité des changements de circuits et de désinfection du respirateur [3, 10, 11] .

·       En cas de procédure mettant en contact un matériel avec la peau : le matériel doit être nettoyé et désinfecté après chaque patient. Il s'agit des brassards de pression artérielle, stéthoscopes, capteurs d'oxymètres, câbles divers et variés. Le nettoyage et la désinfection après chaque patient s'appliquent également pour l'extérieur des respirateurs et des moniteurs ECG, et pour toutes les surfaces planes  [12].

Une stratégie de surveillance des INLA est indispensable car elle permet de connaître les taux de base et de hiérarchiser les actions de contrôle des procédures en fonction des variations de ce taux.

Le recueil de l'information appartient en priorité au personnel infirmier dans la perspective d'une « auto-évaluation » de la qualité d'une pratique de soins. Les paramètres indispensables sont la température et les signes fonctionnels. En cas de suspicion d'une INLA, un examen clinique pratiqué par le médecin anesthésiste, confirmera le diagnostic et l'imputabilité à l'anesthésie. Un éventuel examen microbiologique complète le dossier. L'ensemble des données est colligé au niveau du département d'anesthésie. L'exploitation peut se pratiquer à son niveau. Les conclusions sont transmises au CLIN qui, en partenariat, déclenche les actions nécessaires. L'INLA doit également apparaître dans le dossier d'anesthésie et le patient doit en être informé.

L'observation d'une variation du taux de base des INLA ou la survenue d'un phénomène épidémique doit déclencher des mesures hiérarchisées qui s'intègrent dans la mise en place des moyens adaptés et des choix stratégiques de l'établissement.

Les actions de formation sont indispensables mais leur impact est variable  [13] . Sans aucun doute, les actions peu ciblées, multiservices sont coûteuses et peu efficaces. En revanche, la formation de relais hygiène, référents au niveau de leur unité est plus productive  [14] .

L'infection nosocomiale liée à l'anesthésie est souvent négligée, le patient développant les signes infectieux bien après avoir quitté la salle de surveillance postinterventionnelle. Néanmoins, tous les actes pratiqués au cours de l'anesthésie sont susceptibles de générer de telles infections. Leur prévention repose sur le respect des précautions élémentaires d'hygiène, sur un choix raisonné et validé des procédures de désinfection, sur une surveillance prospective des INLA et sur des procédures de contrôle hiérarchisées. La prévention des INLA est un élément clé de la qualité des soins en anesthésie.


Références :

1 Anonymous. Post surgical infection associated with contaminated
intravenous anesthetic agent blamed on poor aseptic technique. Am J Hosp
Pharm 1990;47:2164

2 Berry AJ. Infection control in anesthesia. Anesthesiol Clin N Am
1989;7:967-81

3 Berry AJ. Infection control in the practice of anesthesiology.
Annual Refresher Course Lectures. ASA, Park Ridge,1995.

4 Garner JS, Jarvis WR, Emori TG, Horan TC, Hughes JM. CDC definitions for nosocomial infections.
 Am J Infect Control 1988;16:28-40

5 Wenzel RP. Prevention and control of nosocomial infections. Williams &Wilkins,
 Baltimore, 1993

6 Garner JS, Favero MS. CDC guidelines for the prevention and control ofnosocomial infections: guidelines for handwashing and hospital environmental control.
Am J Infect Control 1986;110:14

7 American Society of Anesthesiologists, Inc. Recommendations for infection control for the practice of anesthesiology.
Park Ridge. IL : ASA, 1992

8 Association of Operating Room Nurses. Recommended practices. Cleaning and processing anesthesia equipment. AORN J 1991;53:775-7

9 American Association of Nurse Anesthetists. Infection control guide.
 Park
Ridge. IL : AANA, 1993

10 Editorial. Hygiene standards for breathing systems ?
Br J Anesth
1994;72:143-4

11 Feeley TW, Hamilton WK, Xavier B, Moyers J, Eger El. Sterile anesthesia breathing circuits do not prevent postoperative pulmonary infection.
Anesthesiology 1981;54:369-72

12 Favero MS. Principles of sterilization and disinfection.
Anesthesiol Clin N Am 1989;7:941-9

13 Pourriat JL, Cologne C, Pernet M, Poilane I, Sordelet S. Prévention des infections urinaires sur sonde (IUS) : impact des actions de formation.
Réanim Urg 1995;4:695

14 Crede W, Hierholzer WJr. Surveillance for quality assessment : I. Surveillance in infection control success reviewed. Infect Control Hosp
Epidemiol 1989;10:470-74