Dr Marie Claude Dubois, Pr Isabelle Murat
Service dAnesthésie
-Réanimation, Hôpital dEnfants Armand Trousseau
26 avenue du Dr Arnold Netter, 75571 Paris Cedex 12
Linduction par inhalation demeure la technique dinduction la plus utilisée chez le jeune enfant. Lors des consultations danesthésie, plus des trois-quarts des enfants choisissent ce mode dinduction lorsquon leur demende leur préférence. Lutilisation de masques transparents parfumés, la lecture de brochures illustrées aident grandement lenfant à se familiariser avec lenvironnement et la procédure anesthésique.
1. Quel agent ?
En 1998, quatre anesthésiques halogénés sont utilisés en pratique clinique : lhalothane, lisoflurane, le desflurane et le sévoflurane. Le desflurane et le sévoflurane ont une plus faible solubilité sanguine que lisoflurane et lhalothane : leurs coefficients de partage sang/gaz sont respectivement de 0,42, 0,65, 1,4 et 2,4.
Deux de ces agents sont inappropriés à linduction au masque en raison de leur âcreté, lisoflurane et le desflurane. Bien que commercialisé depuis plus dune dizaine dannées, lisoflurane na jamais remplacé lhalothane pour linduction anesthésique malgré ses propriétés hémodynamiques favorables, en raison de lincidence élevée des complications respiratoires observées lors de linduction, quelle que soit la technique utilisée. Lincidence des complications respiratoires (toux, hypersécrétion, laryngospasme, hypoxie) avec le desflurane est encore plus élevée quavec lisoflurane dépassant 50% dans la plupart des études [1-5] et contre-indique clairement linduction au masque avec cet agent (tableau 1).
Tableau 1 :
Complications (exprimées en %) de linduction avec le desflurane chez lenfant [1-5]
Auteur | agitation |
Blocage de la respiration |
toux |
laryngospasme |
SpO 2 < 90% |
Taylor (1992) | 100 |
50 |
36 |
30 |
18 |
Zwass (1992) | 51 |
29 |
58 |
49 |
18 |
Fisher (1992) | ND |
46 |
50 |
54 |
8 |
Welborn (1994) | 12 |
59 |
82 |
53 |
24 # |
ND non déterminé # SpO2 < 85%
Le sévoflurane est un agent non irritant pour les voies aériennes supérieures, dodeur agréable, approprié à linduction au masque. Lincidence des complications respiratoires à linduction est faible, inférieure ou égale à celle de lhalothane dans toutes les séries rapportées [6-15]. Le sévoflurane est un agent anesthésique moins soluble et moins puissant que lhalothane. De ce fait, le captage de cet agent anesthésique est plus rapide surtout pendant les premières minutes de linduction, le rapport FA/FI à léquilibre est plus élevé (0.85) et obtenu plus rapidement. Il en résulte que la vitesse dinduction avec le sévoflurane est plus rapide quavec lhalothane dans la plupart des études rapportées et que lintubation trachéale peut être réalisée plus rapidement.
Le sévoflurane est donc adapté à linduction anesthésique chez lenfant, mais son intérêt majeur par rapport à lhalothane résulte surtout de ses effets cardiovasculaires bien différents de ceux de lhalothane, ce qui augmente considérablement la sécurité de linduction par inhalation avec cet agent. En 1998, le surdosage en halothane demeure encore une des causes principales des arrêts cardiaques peropératoires chez le jeune enfant. Ces arrêts cardiaques sont 10 fois plus fréquents chez les nourrissons de moins de 1 an que chez les enfants plus âgés dans toutes les enquêtes épidémiologiques disponibles [16-19]. Létude des dossiers de plaintes des assurances américaines met en évidence que les causes respiratoires de morbidité et/ou de mortalité anesthésiques sont plus fréquentes chez lenfant que chez ladulte, mais également les causes cardiovasculaires ce qui peut paraître paradoxal; ces dernières représentent en effet 13% des incidents à lorigine des plaintes chez lenfant contre seulement 5% chez ladulte [20]. Parmi les atteintes cardiovasculaires, les altérations inexpliquées de la fonction cardiovasculaire sont 6 fois plus fréquentes chez lenfant que chez ladulte (6% vs 1%). Ces résultats peuvent sembler surprenant lorsque lon sait que la majorité des actes sont réalisés chez des enfants ASA 1 et 2, sans pathologie cardiovasculaire préexistante. Les auteurs de ce rapport précisent cependant que lhalothane était utilisé comme agent anesthésique principal chez 74% des enfants ayant eu une dégradation cardiovasculaire brutale et seulement chez 14% des adultes. Plus récemment, lanalyse des 132 cas darrêts cardiaques pédiatriques déclarés au registre des arrêts cardiaques américains (Pediatric Perioperative Cardiac Arrest Registry) entre 1994 et 1996 montre le bénéfice de lamélioration du monitorage respiratoire (capnographie et oxymétrie) car les causes respiratoires darrêt cardiaque ne sont plus retrouvées que dans 10% des cas rapportés, alors que les causes cardiovasculaires demeurent largement au premier plan rendant compte de 56% des arrêts cardiaques rapportés durant cette période [21]. De ces enquêtes épidémiologiques, on peut conclure que le risque principal lors de lanesthésie dun jeune enfant ASA I ou II demeure le risque cardiovasculaire qui est devenu prépondérant depuis lutilisation systématique dun monitorage respiratoire performant et fiable. Le remplacement de lhalothane par le sévoflurane devrait permettre de réduire cette morbidité et cette mortalité cardiovasculaires.
Le sévoflurane offre une sécurité hémodynamique à linduction bien supérieure à celle de lhalothane. Il ne sensibilise pas le myocarde à laction des catécholamines endogènes ou exogènes. De ce fait lincidence des troubles du rythme lors de linduction anesthésique est considérablement réduite que ce soit lors des endoscopies hautes [12] ou lors des adénoïdectomies [9]. Linfiltration locale par des solutions adrénalinées nest plus contre-indiquée comme lors de lutilisation de lhalothane. A la différence du desflurane, laugmentation rapide de la fraction inspirée de sévoflurane ne saccompagne pas dune activation sympathique [22]. Lhalothane allonge le temps de conduction auriculo-ventriculaire; cet allongement est dose-dépendant et beaucoup plus important chez le jeune animal que chez lanimal adulte [23]. De ce fait, une bradycardie est fréquente lors de linduction à lhalothane surtout chez le nourrisson et contribue à la baisse du débit cardiaque. Le sévoflurane ne modifie pas le temps de conduction auriculo-ventriculaire et une bradycardie est très rarement observée lors de linduction au sévoflurane. Lhalothane provoque une diminution de la pression artérielle dose-dépendante liée à la diminution de la contractilité myocardique alors que les résistances vasculaires systémiques restent inchangées. Le sévoflurane diminue la pression artérielle moins que lhalothane [13], et cet effet est principalement la conséquence de la diminution modérée des résistances vasculaires systémiques comme avec lisoflurane[24]. Le débit cardiaque est maintenu avec 1.5 MAC de sévoflurane, alors quil est considérablement réduit avec 1.5 MAC d halothane chez le nourrisson et le jeune enfant [25].
Le sévoflurane, comme tous les autres halogénés est contre-indiqué chez les patients susceptibles de déclencher une hyperthermie maligne [26,27]. Par contre, le sévoflurane est parfaitement adapté à la pratique danesthésies répétées, car son métabolisme ne produit pas dacide trifluoroacétique responsable des hépatites graves dorigine immunologique observées après administration dhalothane. Des hépatites ont été également rapportées après administration disoflurane et même de desflurane chez des sujets qui avaient été préalablement endormis avec de lhalothane.
1.2. Quelle technique dinduction ?
Linduction à lhalothane est réalisée par la plupart des anesthésistes par une augmentation progressive de la fraction inspirée par paliers de 0.5 à 1% jusquà 3% dans un mélange O
2/N2O 40/60. Cette pratique est généralement justifiée par la nécessité dune surveillance hémodynamique étroite afin déviter tout surdosage lors de linduction anesthésique. La MAC dintubation de lhalothane étant de 40% supérieure à la MAC dincision chirurgicale (tableau 2), une fraction alvéolaire au moins égale à 1.5 MAC est nécessaire pour réaliser une intubation trachéale sans laide de myorelaxants. Afin déviter lutilisation de fortes concentrations dhalothane certains anesthésistes limitent volontairement la fraction inspirée et complètent linduction anesthésique par ladministration dun agent intraveineux dès quune voie veineuse est en place (propofol 2-3 mg/kg) [28] ou utilisent un curare.Tableau 2 :
Concentration alvéolaire minimale (en vol %) des différents anesthésiques halogénés dans 100 % O
2 en fonction de lâge.âge | halothane |
isoflurane |
desflurane |
sévoflurane |
0-1 mois | 0,87 |
1,60 |
9,16 |
3,3 |
1-6 mois | 1,20 |
1,87 |
9,42 |
3,2 |
6-12 mois | 0,97 |
1,80 |
9,92 |
2,5 |
3-5 ans | 0,91 |
1,60 |
8,62 |
2,5 |
adulte | 0,75 |
1,15 |
6,00 |
2,0 |
Cette technique dinduction progressive par pallier en association avec du N
2O peut être utilisée avec le sévoflurane. Elle a été validée dans les études cliniques de phase III. Cependant, ce mode dinduction saccompagne fréquemment dune agitation entre les 2è et la 4è minutes dinduction ainsi que dune augmentation transitoire de la fréquence cardiaque et de la pression artérielle [13,29]. Il est apparu assez rapidement quen raison de la modicité de ses effets hémodynamiques et de son excellente acceptation par les patients, le sévoflurane pouvait être utilisé demblée à des concentrations inspirées élevées. Ladministration de 7% de sévoflurane dans un mélange O2/N2O 40/60 permet ainsi dobtenir une perte du réflexe ciliaire en 0,8 min quel que soit lâge, sans complications respiratoires [12]. Ladministration de 8% de sévoflurane est bien acceptée par les enfants, ninduit pas de complications respiratoires, et permet une induction plus rapide que linduction classique par paliers [30,31]. Les modifications hémodynamiques avec cette technique sont mineures. Linduction à la capacité vitale après préremplissage du circuit dinduction peut être utilisée chez le grand enfant comme chez ladulte. Cette technique permet une induction plus rapide que la méthode par paliers mais elle saccompagne souvent dune apnée après la phase dhyperventilation initiale. Le sévoflurane diminue le tonus des muscles inspiratoires accessoires de manière dose-dépendante, cet effet étant plus important que celui de lhalothane [32]. Une obstruction haute peut donc apparaître très rapidement lors de linduction au sévoflurane, en particulier chez les enfants ayant des amygdales obstructives. Cette obstruction est le plus souvent facilement levée par la mise en place dune canule oropharyngée. Cette dernière peut être mise en place très rapidement car une profondeur danesthésie adéquate est généralement obtenue en moins de 2 minutes.Dans la plupart des études, le sévoflurane est administré en association avec du N
20, comme lors dune induction avec lhalothane. Le bénéfice dune telle pratique a été peu évalué pour linstant. Une seule étude conclue à lintérêt de lassociation du N20 avec le sévoflurane en terme de rapidité et de diminution des phénomènes dagitation [15]. Laddition de 60% de N2O ne réduit la MAC du desflurane et du sévoflurane que de 24% chez lenfant âgé de 1 à 3 ans [33].Lintubation peut être facilement réalisée sans laide de myorelaxant avec le sévoflurane. Des conditions adéquates dintubation sont généralement obtenues entre 4 et 6 min. après le début de linhalation. Pour réaliser lintubation trachéale, la fraction inspirée doit être maintenue à 7 ou 8% jusquà la réalisation de lintubation. La MAC du sévoflurane varie avec lâge comme celle des autres halogénés (tableau 2) [1,3,33]. Elle est plus élevée chez le nourrisson que chez lenfant plus âgé et diminue ensuite avec lâge. La MAC dinsertion dun masque laryngé est identique à la MAC dincision chirurgicale alors que la MAC dintubation est, comme pour les autres halogénés, augmentée de 40% par rapport à la MAC dincision chirurgicale [34,35].
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