VENTILATION ARTIFICIELLE
PER-OPERATOIRE

Pr P. FEISS

CHRU de Limoges


    L’enquête de l’INSERM de 1983 avait montré que 40 % des patients anesthésiés étaient soumis à la ventilation contrôlée (1). Cette proportion a probablement augmenté. Si la plupart des patients anesthésiés ont une fonction respiratoire préopératoire normale, l’anesthésie générale et certaines conditions opératoires provoquent des altérations de la fonction respiratoire qui justifient le recours à la ventilation contrôlée.

 

1. Pourquoi contrôler la ventilation peropératoire ?

Les altérations de la fonction respiratoire pendant l’anesthésie sont dues soit à l’hypoventilation alvéolaire, soit aux perturbations de l’échangeur.

 

1.1. L’hypoventilation alvéolaire (2)

Tous les agents de l’anesthésie, hypnotiques et morphiniques, dépriment la ventilation et entraînent une hypercapnie. L’hypoxémie est en principe évitée par l’augmentation de la FIO2. L’hypoventilation alvéolaire est due à l’action dépressive des agents hypnotiques intraveineux ou par inhalation et des morphiniques sur la commande respiratoire. Les hypnotiques et les morphiniques diminuent de manière dose dépendante la sensibilité des centres respiratoires au CO2. La sensibilité des chémorécepteurs à l’hypoxie est abolie par des concentrations anesthésiques des agents halogénés. De plus, la réponse à l’hypoxie est très déprimée par une concentration alvéolaire faible d’agent halogéné (0,1 MAC) (3).

La curarisation peropératoire impose bien entendu le contrôle de la ventilation.

 

1.2. Les anomalies de l’échangeur

L’anesthésie entraîne des modifications du fonctionnement des muscles respiratoires. Le diaphragme perd le tonus de fin d’expiration qui est présent chez le sujet éveillé en décubitus dorsal. Ceci pourrait favoriser le déplacement du diaphragme vers l’extrémité céphalique (4). Les muscles expiratoires ont une activité phasique lors de l’anesthésie en ventilation spontanée. La capacité résiduelle fonctionnelle (CRF) qui est d’environ 3,0 litres chez un sujet adulte de 170 cm en position assise diminue à environ 2 litres en décubitus dorsal. L’anesthésie diminue la CRF en moyenne de 20,5 % lors de la ventilation spontanée et de 17,5 % pendant la ventilation contrôlée. La cause de la réduction de la CRF n’est pas connue. La diminution de CRF entraîne le volume pulmonaire de fin d’expiration dans la capacité de fermeture avec pour conséquence l’accroissement de l’admission veineuse qui atteint en moyenne 10 % du débit cardiaque. L’accroissement de l’admission veineuse est due à la constitution de foyers d’atélectasie dont la présence a été démontrée par la pratique de scannographies pulmonaires (5). Ces atélectasies régressent plusieurs heures à 24 heures après l’anesthésie et expliquent la persistance d’un élargissement postopératoire de la différence alvéolo-artérielle de pression d’oxygène.

Les résistances bronchiques augmentent lors de l’anesthésie à cause de la diminution de la CRF. La compliance totale diminue surtout à cause de la diminution de la compliance pulmonaire dont le mécanisme n’est pas évident. L’espace mort augmente par accroissement des territoires ventilés peu perfusés. Le rapport VD/VT normalement de 0,32 atteint 0,50 chez le sujet anesthésié intubé.

Les anomalies des échanges gazeux en rapport avec l’anesthésie peuvent bien entendu être majorés par l’existence d’une pathologie respiratoire antérieure.

 

2. Comment contrôler la ventilation

Le ventilateur d’anesthésie est intégré à un appareil complexe qui comporte un système d’alimentation en gaz frais, un circuit anesthésique, un système antipollution et des moniteurs. Le ventilateur a pour fonction de maintenir les échanges gazeux du patient anesthésié en laissant les mains libres à l’anesthésiste. Le mode de ventilation " volume contrôlé " est le plus utilisé chez l’adulte. Le mode " pression contrôlée " trouve des indications en chirurgie pédiatrique et dans certaines atteintes pulmonaires. Les autres modes ventilatoires, pression positive expiratoire, ventilation assistée ou assistée-contrôlée intermittente, aide inspiratoire... n’ont pas été étudiés et leur intérêt pour l’anesthésie n’est pas démontré.

Le ventilateur d’anesthésie doit permettre d’administrer un mélange d’oxygène et de protoxyde d’azote ainsi qu’un agent halogéné. Il permet le réglage du volume courant ou de la ventilation minute, de la fréquence respiratoire, du rapport Ti/Ttot et de la pression positive de fin d’expiration (PEP). Certains modèles sont équipés d’un Trigger pour la ventilation autodéclenchée et d’une aide inspiratoire sensée aider au sevrage à la fin de l’opération (6). Le ventilateur d’anesthésie utilise en général deux sources d’énergie, gazeuse et électrique.

Les ventilateurs à volume contrôlé délivrent un volume courant constant grâce à un débit inspiratoire constant. Ils comportent ou non la possibilité d’un plateau de fin d’inspiration. La pression de crête des voies aériennes dépend du réglage du respirateur (volume courant, débit et durée d’insufflation), de la compliance thoraco-pulmonaire et des résistances du tube trachéal et des voies aériennes du patient. La pression de fin d’expiration n’est pas nulle si le ventilateur réinsuffle les gaz expirés car la pression d’ouverture de la valve d’échappement génère une PEP de 1 à 4 cm H2O.

Dans le mode ventilatoire à pression constante, la ventilateur insuffle jusqu’à un niveau de pression de consigne et maintient éventuellement une pause jusqu’au déclenchement de l’expiration. Le débit peut être constant ou décéléré. En cas de fuite, le ventilateur insuffle une quantité de gaz supplémentaire pour maintenir la pression constante.

L’utilisateur règle la pression maximale des voies aériennes, la fréquence ventilatoire, la pause éventuelle et le rapport Ti/Ttot. Cette modalité correspond à une ventilation à pression d’insufflation constante et à volume courant variable.

La compliance interne du ventilateur et du circuit d’anesthésie déterminent la quantité de gaz comprimé dans les tuyaux, donc non administrée au patient et comptabilisée par le spiromètre situé dans la branche expiratoire.

La baisse de volume insufflé ne doit pas dépasser 30 % du volume réglé. Certains ventilateurs mesurent la compliance interne et le volume comprimé dans le circuit afin d’effectuer une compensation automatique (7).

La ventilation artificielle peropératoire est facilitée par la dépression respiratoire induite par l’anesthésie. Le choix des paramètres ventilatoires doit tenir compte de la diminution de la VCO2 et de la VO2 sous anesthésie générale. Le volume courant devra être assez large pour compenser l’augmentation de VD/vT. En pratique, un VT de 7 à 10 ml/kg et une fréquence de 8 à 12 par minute permettent d’assurer des échanges gazeux normaux.

L’utilisation de la PEP permet de lever les atélectasies peropératoires, mais elles réapparaissent dès l’arrêt de la PEP et persistent aussi longtemps en postopératoire (8).

L’utilisation des autres modes de ventilation, en particulier d’assistance respiratoire n’a pas été validée en anesthésie.

 

3. Les complications et la surveillance de la ventilation

La ventilation artificielle peropératoire doit être surveillée pour prévenir la survenue de complications parmi lesquelles le débranchement accidentel est la plus fréquente. La fonction du ventilateur doit être surveillée par le monitorage de la pression d’insufflation et des volumes inspiré et expiré ainsi que la composition du mélange gazeux délivré au patient. L’efficacité de la ventilation sera appréciée par la capnographie, le monitorage de la saturation artérielle et l’aspect clinique du patient. Les gaz du sang seront pratiqués uniquement chez les patients porteurs d’une pathologie pulmonaire ou cardiaque et lorsque le gradient de CO2 a besoin d’être connu avec précision (neurochirurgie, chirurgie thoracique).

 

Au total : la ventilation artificielle peropératoire est justifiée par les effets dépresseurs et les modifications des échanges induits par l’anesthésie. La ventilation en pression positive intermittente assure dans l’immense majorité des cas des échanges gazeux satisfaisants. Le recours à des modes particuliers de ventilation n’est pas nécessaire.

 

 

 

REFERENCES

1 - HATTON F, TIRET L, MANJOL L, N’DOYE P, VOURC’H G,

DESMONTS JM, OTTENI JC, SCHERPEREEL P.

INSERM : Enquête épidémiologique sur les anesthésies.

Ann. Fr. Anesth. Réanim. 1983 ; 2 : 333-65.

2 - NUNN JF.

Effects of anaesthesia on respiration.

Br. J. Anaesth. 1990 ; 65 : 54-62.

3 - KNILL RL, GELB W.

Ventilatory responses to hypoxia and hypercapnia during halothane

sedation and anaesthesia in man.

Anesthesiology 1978 ; 49 : 244-51.

4 - HEDENSTIERNA G, STRANDBERG A, BRISMAR B, LUNDQUIST H,

SVENSSON L, TOCKICS L.

Functional residual capacity, thoraco-abdominal dimensions and central

blood volume during general anesthesia with muscle paralysis and

mechanical ventilation.

Anesthesiology 1985 ; 62 : 247-54.

5 - HEDENSTIERNA G.

Gas exchange during anaesthesia.

Br. J. Anaesth. 1990 ; 64 : 507-14.

6 - OTTENI JC, BEYDON L, CAZALAA JB, FEISS P, NIVOCHE Y.

Ventilateurs d’anesthésie.

Ann. Fr. Anesth-Réanim. 1997 ; 16 : 895-907.

7 - NATHAN N, SPERANDIO M, ERDMANN W, WESTERKAMP B,

VAN DIJK G, SCHERPEREEL P et coll.

Le Physioflex, ventilateur en circuit fermé autorégulé d’anesthésie par

inhalation à objectif de concentration.

Ann. Fr. Anesth. Réanim. 1997 ; 16 : 534-40.

8 - BRISMAR B, HEDENSTIERNA G, LUNDQUIST H, STRANDBERG A,

SVENSSON L, TOKICS L.

Pulmonary densities during anesthesia with muscular relaxation - a

proposal for atelectasis.

Anesthesiology 1985, 62 : 922-8.