Contre le masque laryngé en pédiatrie

Auteur : Pr Isabelle Murat
Service d’Anesthésie Réanimation
Hôpital d’enfants Armand Trousseau, 75571 Paris, France
E mail: isabelle.murat@trs.aphp.fr

Le masque laryngé (ML) est un dispositif permettant d’assurer la perméabilité des voies aériennes et la ventilation chez le patient anesthésié. Ce dispositif conçu par Archie Brain initialement pour la pratique adulte a été appliqué secondairement à la pratique pédiatrique. Le ML classique était à usage multiple. Plusieurs compagnies ont développé des ML à usage unique (MLuu) qui sont en cours d’évaluation en pédiatrie.

 

Le masque laryngé classique est condamné à disparaître.

A une époque où l’attention du public et des responsables de la santé est focalisée sur le risque d’infection nosocomiale, on peut considérer que le ML classique est condamné à disparaître. Celui-ci pouvait être restérilisé jusqu’à 40 fois selon les recommandations du fabricant. Or dans les conditions habituelles, le nettoyage des masques laryngés reste difficile et on peut détecter la présence de protéines résiduelles sur la majorité des ML nettoyés1-5. Le risque de transmission du variant de la maladie de Creutzfeldt-Jakob (vCJD) par le biais d’un contact prolongé d’un dispositif médical avec les structures amygdaliennes (zone à risque de transmission de type 2), a conduit à privilégier l’emploi de matériel à usage unique pour limiter ce risque signant de ce fait la fin de l’emploi du ML classique6;7. Ces recommandations font l’objet d’une circulaire ministérielle recommandant l’utilisation de l’usage unique pour le matériel en contact avec les tissus à risque (circulaire n°DGS/SC/DHOS/E2001/138 du 14/03/2001). Même si ce risque de transmission du vCJD reste à l’heure actuelle très théorique, la population pédiatrique est la population qui nécessite le plus de précaution compte tenu de la durée de l’espérance de cette population. Pour ces raisons, le ML classique restérilisable doit disparaître de l’équipement des blocs opératoires pédiatriques.

 

Le masque laryngé à usage unique est en cours d’évaluation. Les complications attendues sont celles du ML classique.

Bien conscient des limites du ML classique, les fabricants proposent actuellement des masques laryngés à usage unique qui sont en cours d’évaluation. Chez l’adulte et le grand enfant, ses propriétés paraissent identiques à celles du ML classique8-11. Partant de cette équivalence probable entre les dispositifs (ML classique et à usage unique), il reste à développer les arguments contre l’utilisation du ML.

L’incidence des complications respiratoires liées à l’utilisation du ML est élevée chez le jeune enfant si on compare son utilisation à celle d’un masque facial12 ou à une sonde d’intubation trachéale mise en place par des anesthésistes expérimentés13;14. En effet, dans une étude randomisée réalisée chez des nourrissons, Harnett et coll12 retrouvent une incidence de complications respiratoires égale à 55% avec un ML taille 1 ou 2 contre 23% lorsque la perméabilité des VAS était maintenue à l’aide d’un masque facial adapté. Parmi les complications observées, les auteurs mettent en garde contre l’apparition secondaire d’une obstruction des VAS lors de l’entretien de l’anesthésie. Les auteurs ne disposait pas à l’époque d’un ML taille 1,5. Ce dernier a été évalué chez 68 patients d’âge moyen 8,7 mois15. L’incidence des complications respiratoires dans cette étude était de 42%, similaire à celle rapportée dans l’étude précédente. Dans une large étude comportant 1400 patients, l’incidence globale des complications respiratoires en rapport avec le ML était de 11,5%, mais cette incidence était plus élevée chez les patients ayant bénéficié d’un ML taille 1 (22.4%), en chirurgie ORL et lorsque l’anesthésiste était inexpérimenté16. Plusieurs études ont montré que, lors d’un contrôle fibroscopique, les ML de petite taille (1, 1.5 et 2) étaient fréquemment mal positionnés permettant la vision de tout ou partie de l’épiglotte favorisant une obstruction secondaire des VAS17-19.

L’utilisation d’un ML chez les enfants ayant une infection des VAS fait l’objet d’une controverse. Dans une étude randomisée, Tait et coll. retrouvent une moindre incidence de complications respiratoires avec le ML par rapport à une sonde d’intubation (5% vs 25%)20. Une autre étude conclue également en faveur du ML21. Inversement, une étude prospective récente portant sur 1996 anesthésies pédiatriques retrouve 157 complications respiratoires périanesthésiques soit une incidence de 7,9%13. Cette incidence était plus faible lorsque les voies aériennes étaient maintenues perméables à l’aide d’un masque facial (4,7%) que lorsqu’un masque laryngé ou une sonde d’intubation trachéale (SIT) étaient utilisés (10,2% et 7,4% pour le ML et la SIT respectivement). Les complications les plus fréquentes avec le ML étaient le déplacement (25%) et autres complications mécaniques telles que les difficultés d’insertion (21%) ou de ventilation en pression positive (17%) alors que les laryngospasmes et les bronchospasmes étaient les complications les plus fréquentes lors de l’emploi d’une SIT. En analyse multivariée, trois facteurs significatifs de risque de complications respiratoires étaient retrouvés : l’âge < 6 ans (OR 1,84), l’utilisation d’un ML (OR 2,32) et l’existence d’une infection des voies aériennes (OR 3,72). Dans une étude personnelle portant sur un gros collectif de patients (plus de 24000 anesthésies), l’incidence des complications respiratoires chez les patients intubés était très faible et ceci peut être considéré comme représentant la pratique d’un hôpital pédiatrique spécialisé où le ML n’est utilisé que dans moins de 2% des interventions14. A côté des complications respiratoires souvent bénignes, le masque laryngé peut être responsable de complications plus graves. Parmi celles-ci on peut citer un cas de neuropraxie bilatérale des nerfs laryngés récurents22, une atteint bilatérale des nerfs hypoglosses23 et un œdème important de la langue après une chirurgie de longue durée (5h)24.

A côté des complications liées au positionnement des ML, il faut mentionner les complications liées à la ventilation mécanique sur un ML. Bien que cette technique soit couramment pratiquée, elle nécessite une surveillance rigoureuse tant du patient que des conditions chirurgicales25. En effet, le risque majeur est lié aux fuites potentielles et à l’insufflation gastrique progressive qui favorise la survenue d’un reflux gastro-oesophagien. Dans une étude récente réalisée chez 100 enfants âgés  de 3 à 11 ans, il a été montré qu’une dilatation gastrique (détectée à l’aide d’un microphone placé sur la région épigastrique) survenait chez 10% des enfants lorsque le ML n ‘était pas idéalement placé, ce qui représentait 50% des ML insérés par des anesthésistes expérimentés26. Les auteurs concluaient qu’une grande vigilance était nécessaire chez les enfants ventilés à l’aide d’un ML. D’autres auteurs ont montré une incidence élevée de reflux gastro-oesophagien infraclinique mesuré à l’aide d’une sonde de pHmétrie chez les enfants en ventilation spontanée et encore plus lors de la ventilation contrôlée avec le ML (66% et 92% respectivement)27.

La mise sur le marché des ML à usage unique pose un autre problème, celui du coût de ces dispositifs. Leur prix est actuellement environ 10 fois supérieur à celui d’une sonde d’intubation trachéale à usage unique (1.08 Euros vs 12 Euros, prix AP-HP), ce qui doit amener les utilisateurs à faire des choix raisonnés.

 

Un bémol en guise de conclusion

Malgré les restrictions concernant son usage, la technique de pose du ML doit être enseignée, car la mise en place d’un ML fait partie intégrante des algorithmes de prise en charge des voies aériennes en cas d’intubation potentiellement difficile. Cette technique a fait les preuves de son efficacité chez les enfants ayant une score de Cormack et Leehane grade 3 ou 428 mais elle ne permet pas toujours un maintien adéquat de la perméabilité des VAS chez les enfants ayant un syndrome de Treacher Collins29. Par ailleurs le ML est une aide intéressante pour faciliter la réalisation d’une intubation fibroscopique chez l’enfant.

 

 

 

References

 

   1.   Miller DM, Youkhana I, Karunaratne WU, Pearce A: Presence of protein deposits on 'cleaned' re-usable anaesthetic equipment. Anaesthesia 2001; 56: 1069-72

   2.   Brimacombe J, Stone T, Keller C: Supplementary cleaning does not remove protein deposits from re-usable laryngeal mask devices. Can.J.Anaesth. 2004; 51: 254-7

   3.   Coetzee GJ: Proteinaceous material on routinely cleaned laryngeal mask airways. Anesth.Analg. 2004; 98: 1817-8

   4.   Stone T, Brimacombe J, Keller C, Kelley D, Clery G: Residual protein contamination of ProSeal laryngeal mask airways after two washing protocols. Anaesth.Intensive Care 2004; 32: 390-3

   5.   Tordoff SG, Scott S: Blood contamination of the laryngeal mask airways and laryngoscopes--what do we tell our patients? Anaesthesia 2002; 57: 505-6

   6.   Blunt MC, Burchett KR: Variant Creutzfeldt-Jakob disease and disposable anaesthetic equipment-balancing the risks. Br.J.Anaesth. 2003; 90: 1-3

   7.   Walsh EM: Time to dispose of nondisposable LMAs. Anesth.Analg. 2005; 100: 896-7

   8.   Al Shaikh B, Van Zundert AA: Randomized evaluation of the single-use softseal and the re-usable LMA classic laryngeal mask. Anaesth.Intensive Care 2004; 32: 595

   9.   Glaisyer HR, Yule C: The Portex 'Soft Seal' single use laryngeal mask -- a preliminary study in pediatric anesthesia. Paediatr.Anaesth. 2005; 15: 110-4

  10.   Orlikowski CE: An audit of the Single Use Portex Laryngeal Mask. Anaesth.Intensive Care 2004; 32: 693-6

  11.   Paech MJ, Lain J, Garrett WR, Gillespie G, Stannard KJ, Doherty DA: Randomized evaluation of the single-use SoftSeal and the re-useable LMA Classic laryngeal mask. Anaesth.Intensive Care 2004; 32: 66-72

  12.   Harnett M, Kinirons B, Heffernan A, Motherway C, Casey W: Airway complications in infants: comparison of laryngeal mask airway and the facemask-oral airway. Can.J Anaesth. 2003; 47: 315-8

  13.   Bordet F, Allaouchiche B, Lansiaux F, Combet S, Pouyau A, Taylor P, Bonnard C, Chassard D: Risk factors for airway complications during general anaesthesia in paediatric patients. Paediatr Anaesth 2002; 12: 762-9

  14.   Murat I, Constant I, Maud'huy H: Perioperative anaesthetic morbidity in children: a database of 24,165 anaesthetics over a 30-month period. Paediatr Anaesth 2004; 14: 158-66

  15.   Bagshaw O: The size 1.5 laryngeal mask airway (LMA) in paediatric anaesthetic practice. Paediatr.Anaesth. 2002; 12: 420-3

  16.   Lopez GM, Brimacombe J, Alvarez M: Safety and efficacy of the laryngeal mask airway. A prospective survey of 1400 children. Anaesthesia 1996; 51: 969-72

  17.   Dubreuil M, Laffon M, Plaud B, Penon C, Ecoffey C: Complications and fiberoptic assessment of size 1 laryngeal mask airway. Anesth Analg 1993; 76: 527-9

  18.   Park C, Bahk JH, Ahn WS, Do SH, Lee KH: The laryngeal mask airway in infants and children. Can.J.Anaesth. 2001; 48: 413-7

  19.   Mizushima A, Wardall GJ, Simpson DL: The laryngeal mask airway in infants. Anaesthesia 1992; 47: 849-51

  20.   Tait AR, Pandit UA, Voepel LT, Munro HM, Malviya S: Use of the laryngeal mask airway in children with upper respiratory tract infections: a comparison with endotracheal intubation. Anesth Analg 1998; 86: 706-11

  21.   Parnis S, Barker D, Van der Walt J: Clinical predictors of anaesthetic complications in children with respiratory tract infections. Paediatr Anaesth 2001; 11: 29-40

  22.   Sacks MD, Marsh D: Bilateral recurrent laryngeal nerve neuropraxia following laryngeal mask insertion: a rare cause of serious upper airway morbidity. Paediatr.Anaesth. 2000; 10: 435-7

  23.   Sommer DD, Freeman JL: Bilateral vocal cord paralysis associated with diabetes mellitus: case reports. J.Otolaryngol. 1994; 23: 169-71

  24.   Stillman PC: Lingual oedema associated with the prolonged use of an inappropriately large laryngeal mask airway (LMATM) in an infant. Paediatr.Anaesth. 2003; 13: 637-9

  25.   Sidaras G, Hunter JM: Is it safe to artificially ventilate a paralysed patient through the laryngeal mask? The jury is still out. Br.J.Anaesth. 2001; 86: 749-53

  26.   Wahlen BM, Heinrichs W, Latorre F: Gastric insufflation pressure, air leakage and respiratory mechanics in the use of the laryngeal mask airway (LMA) in children. Paediatr Anaesth 2004; 14: 313-7

  27.   Cebrian J, Avellanal M, Morales JL: Continuous monitoring of oesophageal pH during general anaesthesia with laryngeal mask airway in children. Paediatr.Anaesth. 2000; 10: 161-6

  28.   Walker RW: The laryngeal mask airway in the difficult paediatric airway: an assessment of positioning and use in fibreoptic intubation. Paediatr.Anaesth. 2000; 10: 53-8

  29.   Takita K, Kobayashi S, Kozu M, Morimoto Y, Kemmotsu O: Successes and failures with the laryngeal mask airway (LMA) in patients with Treacher Collins syndrome - a case series. Can.J.Anaesth. 2003; 50: 969-70