Les moyens de réchauffement :
 comment maintenir la normothermie en per-opératoire

Auteur : Dr Yvon Camus. Hôpital Saint-Antoine. Paris

I - Introduction : Le maintien de la normothermie en per-opératoire est un objectif qui doit aujourd’hui faire partie de la prise en charge en routine de tout patient anesthésié. Les nombreux effets secondaires délétères de l’hypothermie, qui intéressent toute la période péri-opératoire, en sont une justification suffisante. La température centrale est le reflet du contenu de chaleur du corps humain. L’hypothermie observée en fin d’intervention en l’absence de moyens de prévention est, au-delà de la phase de redistribution initiale interne de chaleur, le résultat de l’installation d’un bilan calorique négatif, les pertes de chaleur étant supérieures à la production. Le tableau I en est un exemple.

Tableau I : bilan calorique per-opératoire chez un patient de 70 kg, opéré dans une salle à

20 °C pendant 5 heures.

 

kcal/h

total pour 5 heures (kcal)

 

 

 

Production

77

385

 

 

 

Pertes

 

 

cutanées

95

475

perfusions 0,7 L/h

12

60

ventilation 8L/min

12

60

Total pertes

 

595

Bilan production - pertes

 

- 210

 

La chaleur spécifique du corps humain étant de 0.83 kcal/kg/°C, un tel déficit calorique    représente une chute de la température centrale de l’ordre de 3,5 °C. Il est à retenir que les pertes cutanées représentent à elles seules près de 80 % du déficit calorique total, les autres pertes ne représentant que 10 % chacune. Le maintien de la normothermie n’est donc possible que par le transfert actif de chaleur vers le corps en per-opératoire pour maintenir le contenu de chaleur aussi proche que possible de sa valeur initiale pré-opératoire.

II - Les moyens du réchauffement

Si de nombreux moyens sont proposés ils sont très inégaux en efficacité voire en sécurité

1Le réchauffement cutané par couvertures chauffantes

La mise sur le marché des couvertures chauffantes dans le début des années 1990 a révolutionné la prise en charge de l’hypothermie. Le réchauffement cutané par ce type de matériel s’est imposé comme la méthode de référence dans la prévention de l’hypothermie. C’est en effet le seul moyen réellement efficace  de transfert de chaleur. La surface cutanée est la principale voie d’échange de chaleur avec l’environnement. Le tableau I montre que les pertes cutanées représentent près de 80 %  des pertes per-opératoires totales. Le sens et l’importance des échanges dépendent du gradient de température entre la peau et son environnement immédiat. Si la température de l’environnement est supérieure à celle de la peau les transferts de chaleur se font de l’extérieur vers le corps assurant  un bilan calorique positif. C’est le principe et la raison de l’efficacité des couvertures chauffantes. La quantité de chaleur transférée est proportionnelle de façon linéaire à l’augmentation de la température cutanée. Cependant le risque de brûlures impose des limites. La réglementation européenne limite à 40 °C la température de réchauffement cutané maximum possible.

Deux types de matériels sont utilisables en pratique clinique. Les couvertures à convection d’air chaud. C’est le matériel le plus efficace car la souplesse des couvertures permet un enveloppement optimal des surfaces laissées disponibles par l’installation chirurgicale réalisant un véritable effet de serre.  La conduction d’air chaud est la deuxième raison de leur efficacité, les volumes d’air chaud mobilisés assurant des transferts caloriques importants. Ainsi le seul réchauffement du bas (ou du haut du corps) en chirurgie abdominale assure la normothermie même après des interventions de longue durée, jusqu’à supérieures à 6 heures. Leur efficacité est augmentée si elles sont recouvertes d’un drap en coton plié en double épaisseur. Etant à usage unique elles ont pour inconvénient principal leur coût qui a cependant notablement diminué ces dernières années.

Les couvertures électriques. Elles ont pour avantage d’être faciles à nettoyer et à décontaminer ce qui en permet un usage répété, ce qui réduit les coûts d’utilisation. Plus rigides que les couvertures à convection d’air chaud elles ne permettent pas un recouvrement optimal des surfaces disponibles, de plus elles agissent par conduction donc principalement au niveau des zones de contact avec la peau. Pour ses raisons, en chirurgie abdominale en décubitus dorsal, deux couvertures électriques réchauffant le haut et le bas du corps sont nécessaires pour avoir la même efficacité qu’une seule couverture à convection d’air chaud ne recouvrant que le bas du corps. Les couvertures électriques ne sont efficaces que si au moins 60 % de la surface corporelle est disponible pour le réchauffement. Dans les autres situations le choix des couvertures à convection d’air  chaud s’impose.

Quel que soit le matériel utilisé il doit toujours l’être le plus tôt possible (dès l’entrée en salle), sur la plus grande surface disponible (ne pas négliger le période qui précède la préparation et l’installation chirurgicale) et le plus longtemps possible.

 Le réchauffement cutané per-opératoire est peu efficace au cours des interventions de courte durée (inférieure à 90 minutes). L’hypothermie de redistribution y est en effet le mécanisme prépondérant et seul le réchauffement cutané pré-opératoire (au moins une demi-heure corps entier) peut la prévenir.

2 – Le réchauffement des produits sanguins. La transfusion rapide et massive de produits sanguins non réchauffés peut transformer une hypothermie modérée (34–35 °C) en hypothermie sévère (< 33 °C) avec le risque de troubles du rythme ventriculaire difficiles à corriger. La transfusion d’un litre de sang conservé à 4 °C entraîne une dette calorique d’environ 30 kcal ce qui n’est pas très éloigné de la moitié de la production calorique horaire. L’utilisation d’un réchauffeur à sang est obligatoire dans ces situations.

3 - Les moyens éventuellement utiles.  Il faut souligner d’emblée qu’ils ne sont utiles qu’associés au réchauffement cutané car utilisés seuls ils sont constamment inefficaces. L’isolation cutanée. Elle réduit de 40 % les pertes cutanées quel que soit le matériel utilisé (draps, champs chirurgicaux, ....). Elle doit être appliquée sur toute les zones cutanées inaccessibles au réchauffement cutané actif. Le réchauffement des perfusions. S’il n’est d’aucune utilité réelle au cours des interventions conventionnelles, il peut avoir une utilité au cours des interventions de longue durée avec des apports hydriques importants ou dans les situations où le réchauffement cutané est d’efficacité réduite. Il faut utiliser un réchauffeur spécifique pour perfusion assurant une température du soluté proche de 37 °C au niveau du patient, sous réserve de ne pas interposer entre le système et le patient un prolongateur qui en atténuerait l’efficacité par déperditions thermiques le long de ce prolongateur. Seuls les réchauffeurs à contre-courant d’eau chaude assurent cette efficacité. En effet, aux faibles débits de perfusion le soluté se refroidit le long de la ligne de perfusion quand on utilise un réchauffeur conventionnel. Le réchauffement des solutés d’irrigation. Les grands volumes d’irrigation utilisés en chirurgie prostatique sont une cause importante de déperdition thermique. Leur réchauffement avec un matériel spécifique (reposant ici encore sur le principe du contre-courant d’eau chaude) est utile au maintien de la normothermie.

4 – Les moyens inutiles. Le réchauffement et l’humidification des gaz anesthésiques se sont toujours révélés très décevants en terme de prévention de l’hypothermie. La faible part dans le déficit calorique des pertes liées à la ventilation en explique le peu d’efficacité. Le réchauffement des gaz insufflés au cours de la coelio-chirurgie est également décevant.

5 - Les moyens dangereux. Ils font courir le risque inacceptable de brûlures. Le matelas chauffant est le seul moyen de réchauffement  homologué pour lequel ont été rapportés des accidents, certains mortels, en dehors même de tout dysfonctionnement du matériel. Le mécanisme responsable associe le réchauffement par le matelas à une compression des vaisseaux sous-cutanés, compression qui empêche le transfert de chaleur vers le reste du corps aboutissant à une brûlure locale. Ces lésions s’observent au niveau des points d’appuis entre le corps et le matelas. On peut y associer tous les moyens relevant du "bricolage" (bouillottes, draps pré-réchauffés) qui ont été également à l’origine de brûlures. Tous ces moyens sont à proscrire.

III – Conclusion

Le maintien de la normothermie est aujourd’hui possible dans la grande majorité des situations chirurgicales  par le seul réchauffement cutané à l’aide de couvertures chauffantes. Le réchauffement des produits sanguins est obligatoire en cas de transfusion rapide et/ou massive. L’isolation cutanée et le réchauffement des perfusions peuvent être utiles en association avec le réchauffement cutané. Les autres moyens sont inefficaces voire dangereux.

 

Bibliographie

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