Anesthésie réanimation de l’obèse

L’anesthésie de l’obèse en obstétrique.

 

Nathalie HELOU
Clinique d’Anesthésie Réanimation, Hôpital Jeanne de Flandre, CHRU de LILLE

 

 

 

L’organisation Mondiale de la Santé définit l’obésité par un indice de masse corporelle (IMC) compris entre 30 et 34,9 kg/m2. L’obésité est qualifiée de morbide si l’IMC est supérieur ou égal à 40 kg/m2.

La prévalence croissante de l’obésité et son retentissement sur la santé deviennent préoccupants dans les pays occidentaux comme dans le reste du monde. En France, selon l’étude OBEPI parue en 2000, la prévalence de l’obésité dans la population adulte est de presque 10 %, et on note une progression annuelle moyenne de 5,5 % entre 1997 et 2003.

Parallèlement à cette évolution et en raison de la sévérité de l’obésité présentée par certains individus, une nouvelle entité progresse : l’obésité super morbide définie par un IMC supérieur ou égal à 55 kg/m2.

Devant ce phénomène de santé publique, une circulaire ministérielle de février 2005 définit la nécessité de créer huit pôles interrégionaux d’accueil spécialisé, dont un situé à Lille, répartis sur l’ensemble du territoire français ; ces pôles doivent être capables de disposer de moyens techniques, humains et organisationnels, pour permettre la prise en charge spécifique de ces patients.

 

La prise en charge d’un patient obèse est un réel défi pour l’anesthésiste réanimateur. Ceci est d’autant plus vrai en milieu obstétrical puisque d’une part les complications gravidiques sont plus fréquentes chez la parturiente obèse (prééclampsie, hypertension artérielle gravidique, diabète gestationnel, accouchement dystocique), et que d’autre part la caractère urgent de l’accouchement ne permet pas toujours de programmer la prise en charge anesthésique aussi idéalement qu’on le souhaiterait.

La littérature médicale est riche sur le retentissement obstétrical de l’obésité morbide ; par contre, peu d’articles s’intéressent à l’anesthésie ou à l’analgésie obstétricale de ces parturientes. C’est pourquoi, et en raison du nombre élevé de parturientes obèses prises en charge par les équipes anesthésique et obstétricale de la maternité Jeanne de Flandre, il nous a semblé important d’étudier les problèmes rencontrés en per et post-partum au sein de cette population.

Nous avons choisi d’analyser une population de patientes qui présentaient une obésité morbide (groupe OM) avant leur grossesse, ayant accouché à la maternité Jeanne de Flandre sur une durée de 5 ans, et de la comparer à une population non obèse (IMC < 30 kg/m2), appelée groupe témoin ou groupe T, ayant accouché dans notre centre sur la même période. Cette étude est rétrospective de type cas témoin, le groupe témoin étant apparié sur l’âge et la parité des patientes du groupe OM.

 

Au cours de la période étudiée, nous avons recensé 22660 accouchements. Le groupe OM au cours de cette même période est composée de 134 patientes soit 0.6 % des accouchées. Dans ce groupe, on note 24 patientes transférées d’une maternité extérieure pour prise en charge dans notre centre.

 

 

 

 

 

 

Caractéristiques de la population

 

 

Groupe OM

Groupe T

 

Age (ans)

30.4 (± 5.02)

30.05 (± 5.5)

NS

Parité

2.5 (± 1.68)

2.27 (± 1.38)

NS

Taille (cm)

162 (± 7.19)

165 (± 7.12)

P = 0.0167

Δ poids au cours G (kg)

6 (± 8.5)

13.59 (± 5.49)

P< 0.01

IMC (kg/m2)

44.65 (± 4.8)

22.3 (± 3.5)

P< 0.01

Terme accoucht (SA)

38 + 4

39 + 6

P< 0.05

 

Le terme à l’accouchement dans le groupe OM est significativement plus précoce que dans le groupe témoin.

 

 

Pathologies rencontrées

 

 

Groupe OM

Groupe T

 

HTAG (%)

35 (n = 47)

5.97 (n = 8)

P< 0.01

DG (%)

32.84 (n = 44)

4.48 (n = 6)

P< 0.001

Prééclampsie (%)

8.21 (n = 11)

2.24 (n = 3)

P < 0.05

MAP (%)

5.22 (n = 7)

8.96 (n = 12)

NS

RPM (%)

5.97 (n = 8)

4.48 (n = 6)

NS

(HTAG = hypertension artérielle gravidique ; DG = diabète gestationnel ; MAP = menace d’accouchement prématuré ; RPM = rupture prématurée des membranes)

 

Les pathologies gravidiques, en particulier d’origine vasculaire placentaire, rencontrées dans la population OM sont plus élevées que dans le groupe T. Cela confirme les résultats d’études obstétricales sur le retentissement gestationnel de l’obésité, en accord avec les données de la littérature  (1).

Le diabète gestationnel est 8 fois plus élevé dans notre étude dans le groupe OM, et nous retrouvons une corrélation entre la survenue d’un diabète gestationnel et l’importance de l’IMC (p = 0,014).

 

 


 

 

Modes d’accouchement

 

 

Groupe OM

Groupe T

 

Voie basse

40,3 %

 

82,09 %

P< 0,01

 

déclenchement

54 %

21 %

P< 0.05

ventouse

3,7 %

18.52 %

NS

forceps

3,64 %

18,18 %

NS

Durée travail

313 (±162) min

294 (± 153) min

P = 0.4

Durée séjour

4,9 (± 2,03) j

4,9 (± 1,10) j

NS

Césarienne

59, 07 %

 

17,9 %

 

P< 0,01

 

 

Durée séjour

7,3 (± 2,6)

6,83 (± 1,3)

NS

Nous trouvons un taux extrêmement élevé (59 %) d’accouchement par césarienne dans le groupe OM, ce qui confirme et dépasse les chiffres retrouvés dans la littérature. Ces résultats peuvent être expliqués par la fréquence des pathologies obstétricales observées dans ce groupe qui induisent à elles seules une augmentation du risque de césarienne, mais aussi et par les conditions anatomiques gynécologiques particulières (« matelas » graisseux pelvien) qui augmentent le risque d’accouchement dystocique et donc de césarienne.

Cependant Hamon (2) qui a étudié ce risque de césarienne dans une population de parturientes obèses sans autre facteur de risque ajouté, confirme que l’augmentation du risque d’accouchement par césarienne est significativement associé au facteur obésité.

Nous avons d’ailleurs trouvé dans notre étude que le risque de recourir à une césarienne est significativement corrélé à l’IMC (p = 0,03).

 

 

 


 

 

Modalités d’analgésie et d’anesthésie pour les accouchements par voie basse

 

 

Groupe OM

n = 54

Groupe T

n = 110

 

APD

41 (76 %)

88 (80 %)

NS

 

n ponctions

1,51 ± 1

1,17 ± 0,55

P = 0.04

DEP

7,78 (± 1,1) cm

5,10 (± 0,94) cm

P = 0,01

impossible

3

0

 

inefficace

0

0

 

Rachi analgésie

1

1

 

PCA alfentanil

2

0

 

AG

5

2

P< 0,05

 

IOT difficile

0

0

 

CI à l’ALR

4

5

 

(APD = analgésie péridurale ; DEP = distance peau-espace péridural ; AG = anesthésie générale ; IOT = intubation oro-trachéale ; CI à l’ALR = contre indication à l’analgésie loco-régionale)

 

Bien que le geste technique de mise en place du cathéter péridural soit reconnu pour être plus difficile chez les obèses (perte des repères osseux, nécessité parfois d’avoir à disposition du matériel adapté avec des aiguilles plus longue), le nombre de parturientes du groupe OM ayant accouché sous analgésie péridurale est comparable à celui du groupe témoin. On note cependant 3 cas de geste impossible dans le groupe OM, ce qui expose à un risque d’anesthésie générale non négligeable chez ces patientes en cas d’accouchement dystocique (extraction instrumentale ou césarienne).  Hood (3) retrouvait dans son étude prospective sur des parturientes qui présentaient une obésité morbide un taux d’échec d’analgésie péridurale de 42 % en comparaison avec son groupe témoin, nécessitant un replacement du cathéter péridural.

Pour faire face à ce problème, Grau (4) propose un repérage échographique pour faciliter l’abord de l’espace péridural. Cette technique séduisante, mais qui nécessite une formation préalable, permet un échoguidage de l’opérateur qui trouve ainsi le trajet idéal entre la peau et l’espace péridural, ce qui par ailleurs donne des informations importantes sur la taille des aiguilles de Tuohy  qu’il faut utiliser dans ces cas particuliers.

 Il est d’ailleurs noté que 5 patientes ont  nécessité une anesthésie générale au moment de leur accouchement dans le groupe OM, ce qui est significativement plus élevé que dans le groupe T.  Aucune intubation difficile n’est retrouvée dans les 2 groupes.

 


 

 

Modalités d’anesthésie pour les césariennes

 

 

Groupe OM

n = 80

Groupe T

n = 24

 

APD %

34

21

NS

Rachianesthésie %

37

54

NS

PRAC %

7

0

 

AG %

22

25

NS

(APD = anesthésie péridurale ; PRAC = péri-rachianesthésie combinée ; AG = anesthésie générale)

 

Bien que la littérature et les recommandations de pratique clinique soient unanimes sur les larges indications et bénéfices de l’anesthésie locorégionale dans la chirurgie de l’obèse, on constate néanmoins un taux de 22 % de césariennes réalisées sous anesthésie générale. Ceci s’explique de plusieurs manières :

-         par un taux important de césariennes réalisées en urgence dans ce groupe ( 66 % )

-         que l’on observe 2 fois plus d’échec de l’anesthésie locorégionale dans le groupe OM (38,8 % vs 16,6% dans le groupe T)  même si cette différence n’est pas significative

-         qu’enfin  on note également 38,8 % de contre indication à l’anesthésie locorégionale dans le groupe OM expliqués par les pathologies rencontrées dans ce groupe (prééclampsies compliquées de Hellp syndrome)  ou par un traitement en cours (anticoagulation curative ou préventive).

Une intubation difficile est retrouvée dans caque groupe sans morbidité séquellaire.

Le caractère difficile de la réalisation de l’anesthésie locorégionale peut être amélioré par l’utilisation d’aiguilles de Tuohy ou de rachianesthésie de longueur adaptée à la situation ; il apparaît cependant que la péri-rachianesthésie combinée semble intéressante pour la réalisation de la césarienne des parturientes obèses puisqu’elle permet d’associer la fiabilité de la rachianesthésie et la possibilité d’augmenter le temps d’anesthésie grâce à la péridurale en cas de chirurgie prolongée. Les kits commercialisés prévus pour cette technique sont parfois mis en défaut chez les obèses par l’insuffisance de longueur des aiguilles. Dans ce cas, nous optons pour la technique en 2 ponctions : le cathéter péridural est introduit en première intention après repérage de l’espace par l’aiguille de Tuohy, puis secondairement nous réalisons la rachianesthésie à un espace intervertébral sous jacent avec une aiguille de rachianesthésie pour obèse.

 

 

Qu’en est-il des patientes présentant une obésité super morbide ? (groupe OSM)

 

Six patientes de notre étude présentaient une obésité super morbide avec un IMC ≥ 55 kg/m2.

Ces parturientes ont toutes accouché par césarienne sous anesthésie locorégionale.

Ce qui est frappant dans ce groupe, ce sont surtout les complications rencontrées en post-partum détaillées dans le tableau ci-dessous :

 

 

VVC

3 lits

Réa

HPPI

OAP

EP

Abcès

Synd inf

Chir

Patiente 1

X

X

X

X

 

 

 

 

 

Patiente 2

X

X

X

 

X

 

 

 

 

Patiente 3

X

X

 

 

 

X

 

 

 

Patiente 4

X

X

 

 

 

 

X

X

 

Patiente 5

X

X

 

 

 

 

X

X

X

Patiente 6

X

X

 

 

 

 

 

X

X

(VVC = voie veineuse centrale ; 3 lits = transfert dans le service de soins rapprochés anesthésiques et obstétricaux ; réa = transfert en réanimation polyvalente ; HPPI = hémorragie du post-partum immédiat ; OAP = œdème aigu du poumon ; EP = embolie pulmonaire ; Abcès = abcès au niveau de paroi ; Synd inf = syndrome infectieux ; Chir = reprise chirurgicale)

 

Les complications lourdes du post-partum de ce groupe nécessitent une prise en charge dans un secteur obstétrical nécessitant de moyens humains, de matériel, de moyens de surveillance adaptés et d’un secteur de réanimation proche.           

 

 

Conclusion

Les parturientes qui présentent une obésité morbide présentent des complications gravidiques fréquentes qui vont influencer le mode d’accouchement mais aussi d’anesthésie. Leur prise en charge doit être idéalement multidisciplinaire tout au long de la grossesse ; il est nécessaire que les maternités soient équipées de moyens humains et de matériel adapté à la population obèse.

La programmation de l’accouchement est indispensable afin d’éviter les situations d’extrême urgence où la sécurité maternelle et fœtale risque d’être mise en péril. L’analgésie et l’anesthésie locorégionale restent une priorité dans cette population à haut risque anesthésique.

Enfin, au vu de nos résultats, il nous semble logique de proposer en accord avec notre équipe obstétricale de programmer un accouchement par césarienne chez les patientes dont l’IMC avant la grossesse est supérieur à 50 kg/m2  puisque le taux de réussite d’accouchement par voie basse est négligeable dans ce groupe ; la mise en pratique de ceci permettra de programmer dans la journée l’intervention de ces patientes, idéalement sous péri-rachianesthésie combinée. Les complications du post-partum rencontrées dans ce groupe de la population OM sont suffisamment lourdes pour proposer la prise en charge de ces parturientes dans ce centre obstétrical de référence.

 


 

 

Références bibliographiques

1-     Cedergren MI. Maternal morbid obesity and the risk of adverse pregnancy outcome. Obstet Gynecol 2004; 103(2) : 219-224.

2-     Hamon C, Fanello S, Catala L, Parot E. Maternal obesity : effects on labor and delivery; excluding other diseases that modify obstetrical management. J gynecol Obstet Biol Reprod 2005; 34 (2) : 109-114

3-     Hood DD, Dewan DM. Anesthetic and obstetric outcome in morbidly obese parturients. Anesthesiology 1993; 79 ( 6):1210-1218

4-     Grau T, Leipold RW, Horter J, Conradi R, Martin E, Motsch J. the lumbar epidural space in pregnancy : visualization by ultrasonography. Br J Anaesth 2001; 86 (6) : 798-804.